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Rencontre avec The Ninety2 : Pop Fiction

  • Hugo Lafont
  • il y a 14 minutes
  • 14 min de lecture

C’est dans l’un des studios sans âge d’Universal, entre les lignes anonymes d’un hall immense, que la rencontre s’est tenue. Deux regards presque identiques, miroir l’un de l’autre sans se confondre. Val et Klem Aubert, alias The Ninety2, sont de cette espèce rare d’artisans discrets que l’on devine méthodiques, mais qui opèrent avec un feu intérieur — un feu qui ne se montre pas, mais qui consume.


Leur premier EP studio, Rollercoaster, ne ressemble pas à un coup d’essai. C’est un statement sonore sans levée de drapeau, un disque qui n’attend ni validation ni clics de masse, mais s’impose par sa densité atmosphérique, sa rigueur libre, son goût souverain pour l’émotion texturée. Loin du mimétisme ou du revival paresseux, The Ninety2 déploie ici une esthétique du détail, un art du contour précis, au service d’une pop mutante, synthétique, hybride, jamais prévisible. Il y a dans leur démarche quelque chose qui tient de la chambre noire et de la salle des machines. Une alliance rare de l’organique et de l’infra-technique, du souvenir émotionnel et de la coupe chirurgicale.

Cinq morceaux, cinq mondes, une seule ligne de fuite : créer sans imiter, convoquer sans citer, transmettre sans expliquer. Et le bonheur vient comme par magie. 


On serait tenté de parler d’eux comme d’un laboratoire pop — mais ce serait oublier leur sens aigu du storytelling. Car Rollercoaster, c’est aussi un travail sur la voix comme véhicule de fiction, jamais anecdote. Jessica Winter (vue chez Metronomy) ouvre Higher Than Love avec une élégance de haute voltige, oscillant entre incantation digitale et pulsation charnelle. Izzy Bee Phillips, chanteuse de Black Honey, offre à Heaven is the Girls un souffle doux-amer, quelque part entre une réverbération de Giorgio Moroder et la nostalgie souterraine d’un vieux Moog ignoré durant des années. Le morceau est une capsule suspendue — probablement l’une des choses les plus subtilement bouleversantes qu’on ait entendues cette année, à la hauteur d’un Random Access Memories dans son versant le plus introspectif.


Et puis il y a Ghost. Vortex jouissif à la limite de la perfection. Craig Walker (ex-Archive) y chante avec une tension maîtrisée, et le titre avance comme un mirage saturé de lumière noire. Le titre n’est pas hanté. Il est en cours de disparition. Une disparition contrôlée, presque érotique dans sa manière de s’effacer. Une pulsion jouissive de joie l’érigeant au sommet du projet. 


Sur Wasting Moonlight, avec Olivia Sebastianelli, les frères embrassent l’imaginaire d’un cinéma de néons et de bitume, un héritage vidéoludique et sensoriel qu’ils ne réduisent jamais à un gimmick. Miami Vice ? Street of Rage ? Peu importe. Ce qui compte ici, c’est le climat. Et cette capacité à évoquer sans démontrer, à suggérer l’image sans jamais l’illustrer.


L’ultime titre, Rollercoaster, porte bien son nom : pas pour ses secousses, mais pour sa mécanique émotionnelle, faite de spirales lentes, de demi-tours secrets, de courbes intimes. Un morceau de clôture qui ne ferme pas l’EP, mais le laisse en suspension. Comme une promesse tenue à moitié, volontairement. Parce qu’on attend la suite, et qu’elle s’annonce magique.


Ce que nos deux frères surdoués Val et Klem accomplissent ici dépasse le simple cadre du “projet solo de producteurs”. Ils refusent la tentation du branding, ne s’acharnent pas à définir leur son, et par là même le rendent plus puissant, plus fuyant, plus désirable. Leur musique ne performe pas : elle observe, elle attend, elle agit à bas bruit pour mieux faire vibrer les oreilles. Elle vous revient deux jours après, dans un wagon vide, dans un songe flou. Ils parlent de spontanéité, mais la leur est sculptée — c’est une spontanéité qui s’écrit avec des parenthèses, des silences, des demi-teintes.


Ce qui confère à Rollercoaster sa nécessité, presque son urgence dans le tumulte musical contemporain, c’est sa manière d’échapper à toute taxonomie sans sombrer dans l’ésotérisme, de rester foisonnant sans devenir opaque, immédiatement saisissable sans jamais s’abandonner au confort d’un canevas préfabriqué. The Ninety2 parlent couramment le langage pop, mais ils le tordent, le déroutent, le subliment — parce qu’ils en maîtrisent chaque racine, chaque nuance. Ils honorent la pop avec un grand P, parce qu’elle les chérit comme on chérit ses enfants prodiges — ceux qui l’aiment assez pour mieux la réinventer.


À l’écoute, quelque chose s’ouvre. Un interstice discret, sans enseigne lumineuse ni tapis rouge. Une brèche précise dans l’architecture sonore actuelle, presque imperceptible — mais une fois franchie, tout vacille.

Et l’évidence surgit : c’est là que ça se passe. C’est par cette ouverture, intime et vertigineuse, que s’infiltre déjà un air venu d’après. Le futur ne fait pas de bruit. Il prend simplement forme, ici, dans ce frisson qu’on n’attendait plus : l’attraction s’annonce extatique.


© Pauline Mugnier



CNB : Vous avez grandi dans une famille où la musique était omniprésente, entre Michael Jackson, les Beatles et Nirvana. À quel moment avez-vous cessé d’être de simples auditeurs pour devenir des créateurs ? Quel a été le déclic ?


Klem : On est tombés dans la musique très tôt, mais pas tout à fait de notre plein gré. Guitare classique, solfège, conservatoire... nos parents voulaient bien faire, mais tout ce côté rigide, scolaire, ça nous a rapidement refroidis. Ce n’était pas notre langage. Ce qui nous a vraiment allumés, c’est au collège. Dans notre coin, il n’y avait pas beaucoup de groupes, alors on a commencé à se passer des disques entre potes — Nirvana, notamment. Et là, ça a été comme un déclic : “OK, on va monter un groupe.” Pas par ambition, juste parce qu’on en avait besoin.


Val : On avait la fougue, l’envie de jouer. Notre père chantait dans un tribute à Léo Ferré, donc il y avait toujours de la musique à la maison. Et puis on écoutait Michael Jackson autant que les groupes de rock. C’était ce mélange qui nous excitait. J’ai chopé une guitare, Klem a pris une basse. Deux mois plus tard, on voulait déjà faire un concert pour la fête du collège. Alors on a appris à jouer vite, pas forcément bien, mais avec une urgence sincère. C’était ça ou rien !


Votre approche est profondément autodidacte. Comment avez-vous construit votre savoir-faire en composition et production ? Avez-vous eu des mentors, même à distance, à travers des disques ou des analyses de production ?


Val : On dit souvent qu’on est autodidactes, mais c’est un peu plus nuancé. J’ai fait des études de jazz, donc j’ai eu une vraie phase “théorie”, j’ai bouffé des gammes et des modes. Mais là où on est complètement autodidactes, c’est en production. On a commencé super tard. Et ce qui m’a frappé après le jazz, c’est à quel point des artistes comme Björk me touchaient mille fois plus que des mecs qui balancent 12 accords complexes par minute. La production, le sound design, les textures : c’est ça qui m’a parlé, viscéralement. J’ai alors commencé à creuser : qui sont les producteurs derrière ces sons qui me retournent ? Pendant ce temps, Klem forgeait d’autres armes, en jouant dans des groupes comme Minuit avec Simone Ringer.


Klem : Ouais, moi c’était un petit peu plus brut. Dès que j’ai su tenir une basse, j’ai voulu jouer devant des gens. Beaucoup. Mon rêve, c’était le romantisme du groupe de rock en tournée, les valises à peine défaites, les nuits courtes et les amplis dans le coffre. J’ai beaucoup appris sur scène, par l’erreur, par l’excès, par l’intuition. Et puis on s’est retrouvés avec Val à un moment donné, chacun avec son bagage. Ninety2 est né comme ça : pas dans un plan de carrière, mais dans une nécessité commune.


Vous évoquez souvent l’énergie du DIY, du “faire par nécessité”. Est-ce que cette contrainte a façonné votre manière de créer ? Auriez-vous développé la même approche si vous aviez eu accès à des studios et des contacts dès le départ ?


Val : Le DIY, pour nous, c’est pas une pose. C’est presque une éthique. On aime ne pas savoir, et faire quand même. Tu sais, les artistes qui nous ont le plus marqués — Cobain, par exemple — ce sont pas forcément des virtuoses, mais ils ont une manière d’être là, tout entier dans ce qu’ils font. Les premières idées sont souvent les plus vraies, parce qu’elles sortent sans filtre, sans calcul. Quand je vais au studio, j’essaie de retrouver cet état-là. C’est dur, parce qu’avec le temps tu perds un peu ce gamin de 12 ans qui faisait juste de la musique pour ressentir quelque chose. Mais c’est ça le vrai combat : garder l’instinct intact. Faut jouer les instruments avec l’innocence et la naïveté de l’ado qu’on était. 


Klem : Et bosser en Angleterre nous a vraiment libérés. Là-bas, les musiciens sont souvent moins “techniques” que les Français, mais ils misent tout sur l’énergie, la vibe, le chaos créatif. Dans un studio bordélique, tout le monde touche à tout. Le batteur compose, le guitariste programme des beats. Ça nous a aidés à péter des barrières mentales. Chez nous, tout est partagé : il n’y a pas de rôles figés. Tant qu’on est dans la pièce, on est là pour créer. Ensemble.


© Pauline Mugnier


Votre palette d’influences est large, de la pop américaine au rock alternatif, de la French Touch au hip-hop. Comment sélectionnez-vous ce que vous absorbez et réinterprétez dans votre musique sans tomber dans le collage stylistique ?


Klem : Notre manière d’intégrer des influences, elle est instinctive. On aime prendre des sons ultra identifiables, issus de la pop culture, et les faire glisser dans notre monde à nous. Un synthé à la Kate Bush, une rythmique hip-hop, une ligne de basse French Touch : si ça provoque une émotion, on le prend. Mais toujours avec l’envie d’en faire quelque chose de singulier, pas un simple collage.


Val : Ce qui fait le lien entre tout ce qu’on aime — de Tame Impala à Tyler, de Breakbot à Nine Inch Nails — c’est pas le style, c’est la sincérité. Le grain de la voix, la vérité d’un mix, la sensation d’un truc fragile. Ce qu’on déteste, c’est le trop lisse, le trop marketé. On préfère mille fois un truc un peu bancal mais touchant qu’une perfection stérile. Plus c’est risqué, plus c’est intéressant. Dans toute la palette d’artistes qu’on écoute, c’est ça qui prime, la sensation même de la vibe, la même forme d’émotion. Plus c’est edgy, plus c’est sur le fil, plus on aime.


Si vous deviez choisir un disque fondateur, celui qui représente le mieux votre vision de la musique, ce serait lequel et pourquoi ?


Val : Si je devais citer un seul disque fondateur ? Homogenic de Björk. C’est un ovni. J’ai poncé ce disque comme aucun autre. Il y a tout : l’ampleur, l’intime, l’organique, l’électronique. C’est de la haute couture émotionnelle. Surtout ses quatre premiers albums.


Klem : Moi je retourne plus à nos débuts. Le premier album qui nous a retournés, c’est Dangerous de Michael Jackson. On l’a volé à notre sœur. C’était la révélation. Après, Trent Reznor avec Nine Inch Nails a été un vrai tournant pour moi. Et évidemment, Currents de Tame Impala : la claque de 2015. Ça a déverrouillé plein de trucs dans nos têtes. Et Justice aussi, le premier. C’était sale, nouveau, brut. Un vrai choc.


Val : Et en vrai on en parle pas assez, mais le premier Justice c’était une énorme claque, c’était un ovni pour beaucoup d’oreilles. Je pétais un plomb par rapport à ma formation musicale théorique, on découvrait le monde de l’ordinateur. De manière générale les disques qui cassent un peu les règles sont ceux qui nous ont le plus impressionnés - et influencés. 


Vous avez cette phrase : “Digger les sons est notre obsession, notre philosophie”. Concrètement, comment se passe votre processus de recherche sonore ? Est-ce une discipline quotidienne ou une chasse à l’inspiration plus instinctive ?


Val : On a une vraie obsession du son. Je passe mes journées à écouter, digger, explorer les dernières prods, les nouveaux plug-ins, les sorties confidentielles comme les gros albums. Et puis il y a ce moment suspendu : t’es devant un synthé, t’as rien prévu, et là… il se passe un truc. Il faut être prêt à l’enregistrer, tout de suite. C’est ça qu’on cherche : la capture du moment magique, de l’accident qui devient beauté.


Klem : Moi je suis plus dans une démarche de fouille vintage. J’aime les disques poussiéreux, les sons patinés, les guitares qui grincent. Val est à fond sur la nouveauté, les textures modernes. On est complémentaires. Mais on est surtout d’accord sur une chose : faut que ça reste vivant. Brut. Instinctif. Et prêt à surgir.


Vous travaillez à la fois avec du matériel analogique et numérique. À quel moment choisissez-vous l’un ou l’autre ? L’analogique vous apporte-t-il quelque chose que le digital ne peut pas reproduire ?


Klem : C’est clairement un truc de feeling. Sur l’analogique vs le digital, on fait aucun dogme. Ce qui compte, c’est ce que le son raconte. Si une prise iPhone sur un piano nous touche plus qu’un enregistrement avec un micro à 10 000 balles, on prend l’iPhone. La vérité du son, elle est pas dans le matos, elle est dans ce qu’on en fait à la toute fin. 


Val : On aime hybrider. Changer d’outil, de méthode, de lieu. Ne pas s’enfermer dans une technique ou une esthétique. C’est aussi ça la pop : mélanger, croiser, bousculer, chaque morceau est une occasion de se réinventer. Ce flou, c’est notre terrain de jeu. Ce qu’on défend, c’est l’émotion avant la performance. Et la spontanéité, c’est ce qui sauve tout. Quand on sent qu’on commence à sur-réfléchir, à trop vouloir bien faire, on s’arrête. On revient à la base. On joue. On se plante. On s’émerveille. C’est dans cette intention qu’on veut exister.


© Pauline Mugnier


Vous avez décrit votre EP comme un espace de liberté où l’émotion prime sur la performance. Comment vous assurez-vous que la spontanéité reste au cœur du processus, surtout avec l’exigence que demande la production moderne ?


Val : C’est le cœur du dilemme. Parfois, t’as un truc qui tombe en deux heures, un éclair — et ce moment, c’est de la magie pure. Mais ensuite, tu passes des semaines à retravailler, peaufiner, lisser, affiner — et au bout du compte, tu perds ce premier frisson. On le sait tous, la première version a souvent quelque chose que tu ne retrouveras plus jamais. Et pourtant, tu continues à mixer, masteriser, arranger, avec cette petite voix qui te dit que le premier jet était peut-être “le” bon. Le vrai défi, dans la production aujourd’hui, c’est de garder cette étincelle originelle. C’est le fil conducteur invisible qui justifie que cette chanson existe. Les producteurs qui m’inspirent, tous ceux que j’ai pu rencontrer, m’ont confirmé ça : le seul vrai boulot, c’est de préserver l’émotion d’origine à chaque étape. Sinon, t’as juste une belle coquille.


Klem : Ce qui complique encore tout, c’est qu’aujourd’hui, n’importe qui peut faire sonner un morceau très “pro” en un clic. Les outils sont dingues. Et pourtant, c’est là qu’il faut apprendre à faire l’inverse : réinjecter de l’imperfection dans un monde qui te pousse à tout polir. On est en train de faire le chemin inverse de l’industrie des années 2010. Maintenant, on cherche le grain, la fragilité, l’humain. Quand tu réécoutes des vieux disques, tu t’aperçois que rien n’est “parfait” au sens technique. Mais tout est habité. Nous, sur “Heaven Is The Girls”, on a gardé la voix de la démo. Même chose sur “Higher Than Love”. On a essayé de réenregistrer, de refaire des prises plus clean, mais c’était jamais aussi fort que la première fois. Alors on a décidé de faire confiance à la vérité du moment. Et de laisser les petites failles parler à notre place.


“L’idée, c’était de ne pas avoir une seule voix pour pouvoir s’ouvrir à d’autres univers.” Comment choisissez-vous les artistes avec qui vous travaillez ? Qu’est-ce qui vous attire dans une voix ou une personnalité musicale ?


Klem : Pour nous, une voix c’est comme un instrument à part entière. Sur ce premier EP, on les a cherchées avec le même soin qu’on chercherait un vieux synthé ou une pédale rare. Jessica Winter, on l’a repérée sur un feat avec Metronomy, et on s’est pris une claque. On a écouté sa voix et on s’est dit : “C’est elle qu’il nous faut.” Ensuite, on l’a rencontrée, et là c’était encore plus évident. Elle est singulière. Pour “Higher Than Love”, elle apportait exactement ce qu’on imaginait : un truc entre I Feel Love et du Soulwax un peu sale, un peu déglingué. Et Izzy Bee Phillips, pareil. On l’a vue en live et on a été soufflés. Son côté punk très anglais nous a captivés. Elle a cette énergie paradoxale, rugueuse et fragile.


Val : Ce qui compte, c’est l’univers des gens. Leur personnalité. On ne bosse qu’avec des artistes qu’on admire vraiment. C’est pas une question d’opportunité. Il faut que la personne nous touche, qu’elle ait une vraie identité artistique. Une voix seule ne suffit pas si elle ne raconte rien. On cherche des partenaires, pas des exécutants.


Klem : Et puis il y a autre chose : à deux, on vit un peu dans notre bulle. Ce projet, c’est aussi une manière d’ouvrir cette bulle, de faire rentrer d’autres énergies, d’autres couleurs. Les featurings, c’est une manière de tordre un peu notre monde pour le rendre poreux, plus accueillant. Ça rend l’expérience plus collective, plus vivante.


Votre musique est souvent décrite comme cinématographique, immersive. Pensez-vous en images lorsque vous composez ? Avez-vous déjà envisagé d’écrire une bande-son complète ?


Klem : Complètement. L’imaginaire visuel est hyper présent dans notre manière de créer. Notre esthétique, nos clips, nos pochettes, tout est nourri de films et de jeux vidéo. On n’est pas trop dans le commentaire social ou politique. Ce qui nous intéresse, c’est la projection, la fuite, l’échappée belle. On gravite dans des sphères plus fantasmées, presque SF parfois. Et clairement, faire une BO de film ou de jeu, c’est un objectif qu’on garde au chaud.


Val : On aime profondément les formats pop, mais le sound design a une place énorme dans notre approche. On adore les disques qui te plongent dans un univers cohérent, un bloc de sensations compactes. Et là-dessus, les OST sont souvent des chefs-d’œuvre sous-estimés. Tu passes 100 heures sur un jeu comme Cyberpunk, c’est comme si t’écoutais un album pendant 100 heures. Forcément, ça t’imprègne. Ça me fascine, ce genre d’expérience immersive. Composer une bande-son complète, c’est un autre métier, mais c’est clairement un fantasme. Il faudra juste trouver le bon moment pour s’y consacrer à fond.


Vous parlez souvent de spontanéité et d’instinct. À quel moment savez-vous qu’un morceau est terminé ? Est-ce une décision rationnelle ou un ressenti viscéral ?


Klem : Honnêtement ? Un morceau n’est jamais vraiment fini. Tu peux toujours revenir dessus, changer un détail, refaire un mix, couper une boucle. Mais on n’est pas du genre à se noyer dans la quête de perfection. Quand la vibe est là, on sait lâcher prise. Et parfois, on revient dessus après, on le bidouille un peu, on explore des versions alternatives. On reste ouverts.


Val : Ce que j’aime bien aujourd’hui, c’est qu’on peut publier une version, puis en sortir d’autres ensuite. Des remixes, des reworks, des bonus tracks. On n’est plus prisonniers du “master final” comme avant. Mais paradoxalement, on est assez old school dans notre façon de penser : une fois que c’est sorti, on préfère regarder vers la suite. Le prochain titre, le prochain EP, ce qui vient après. C’est ça qui nous permet de progresser.



© Pauline Mugnier


Vous avez passé des années à travailler pour d’autres avant de lancer votre propre projet. À quel moment avez-vous su qu’il était temps de mettre en avant votre propre musique ?


Klem : Au début, c’était juste un projet entre nous. Un truc qu’on faisait dans notre coin, sans prétention. On composait pour le plaisir. Et puis un jour, on s’est regardés et on s’est dit : “Si on sort pas ces morceaux maintenant, on les sortira jamais.” Y’avait des gens autour de nous qui nous poussaient, qui nous disaient que ce serait dommage de les laisser dormir. On s’est lancés. Simplement.


Val : Moi, ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un projet comme les DJs : avec plein de featurings, un projet-vitrine, ouvert. Parce que parfois, tu bosses sur un son hyper cool, mais il n’a pas sa place dans le projet de l’artiste pour qui tu bosses. Et c’est frustrant. Ce projet est né de cette frustration-là. De l’idée qu’on pouvait construire notre propre espace pour faire vivre ces morceaux orphelins. On en a parlé, et on s’est dit qu’on allait y aller à fond. Le COVID a accéléré tout ça. Depuis un an, on est lancés.


Quelle est votre plus grande fierté liée à l’EP ? 


Val : Le fait qu’on ait gardé un truc brut. Home-made. Sincère. On a pas essayé d’en faire trop pour impressionner. On a gardé la main sur tout, on a contrôlé notre narration. Et je crois que ça se ressent.


Klem : Oui, et surtout, on a préservé l’énergie des premières maquettes. Les défauts, les petits accros… on les a pas gommés. On a laissé la vie. Et c’est ce qu’on voulait. Avec le temps, tu comprends que c’est pas grave si un son n’est pas parfait. Ce qui compte, c’est qu’il dise quelque chose de vrai. Et moi, je veille à ça. Quand Val propose une 15e version, je lui dis souvent : “Reviens à la V2. C’est là qu’il se passait quelque chose.” C’est mon job dans notre duo, et tous les deux on se complète parfaitement.


Enfin, pourquoi pensez-vous que vous faites de la musique ?


Klem : Parce que c’est vital. Il y a quelque chose en nous qui pousse à créer. On a grandi avec ça, on voulait un groupe, on voulait l’aventure. Ce métier te donne une liberté folle. Tu voyages, tu rencontres, tu t’étonnes. C’est intense, c’est dur parfois, mais tu te sens vivant. Et c’est rare aujourd’hui. On se sent en vie avec tout ce que ça implique.


Val : Moi, c’est comme respirer. Je fais du son tous les jours. Le studio, c’est mon refuge. Ce que j’aime moins, c’est tout ce qu’il y a autour : la pression, les jeux politiques, le stress. Mais la musique, elle, m’a toujours accompagné. Je sais même plus qui j’étais avant elle. Il faut juste veiller à ne pas perdre le plaisir en route. C’est facile de se faire bouffer quand tu te professionnalises. Alors je m’impose des moments pour me reconnecter. Pour juste faire, sans enjeu. Et c’est dans ces moments-là que les meilleures choses arrivent.


© Pauline Mugnier


Rollercoaster est disponible sur toutes les plateformes de streaming.


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