Myd : Saturday Mydnight Fever
- Hugo Lafont
- 11 oct.
- 20 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours
Il y a chez Myd quelque chose de rare : une manière d’être dans la musique comme d’autres sont dans le monde, pleinement, sans distance de sécurité.
Quand il parle, les phrases roulent comme des boucles de synthé, avec cette chaleur un peu indisciplinée de ceux qui ont passé trop de nuits à chercher le bon son plutôt que le bon sommeil. Sa carrière se raconte difficilement tant elle tient davantage aux sensations qu’aux faits purs et durs.
Mydnight n’est pas un album de producteur. C’est une carte mentale, un territoire mouvant où l’euphorie flirte avec la fatigue, où la lumière des clubs se mêle à celle des écrans de contrôle et d’incontrôle. Il y a de la joie, du vertige, un goût de lendemain, un peu de tendresse aussi. Et au milieu de tout ça, Myd, qui ne cherche pas à faire danser le monde, mais à comprendre pourquoi il peut danser encore.
Myd, c’est cela : un funambule entre discipline et abandon, un artisan qui marie l’exigence à l’ivresse. Il ne se cache pas derrière des concepts abstraits ; il les saisit, les malaxe, jusqu’à ce qu’ils exsudent une émotion brute. Ses sons, il les décrit comme des créatures vivantes, certaines dociles, d’autres farouches, indomptables. Et c’est dans leurs écarts, leurs dérapages, que naît la magie, là où le contrôle s’efface pour laisser place à l’inattendu. Le propre de tout magicien tout compte fait, autant que d’un musicien.
Mydnight, est né d’une quête limpide : comment façonner la fête parfaite ? Non pas la plus éclatante ni la plus assourdissante, mais la plus vraie, celle où les frontières s’effacent, où la scène et la foule se fondent en une seule pulsation. Une célébration où le public devient à la fois l’œil, la caméra, le souffle même du moment. Les corps dansent, filment, se reflètent, projetant l’instant sur des écrans qui ne séparent plus, mais unissent. Une fête où la technique s’évanouit pour laisser place à une communion viscérale. Du studio à la scène, de l’ouïe à l’âme.
Par exemple, son passage par la FEMIS, il l’évoque comme un souvenir qui s’est mué en instinct. Là-bas, il n’a pas appris la technique, mais l’art du montage : donner forme à l’informe, guider les intuitions, faire groover la matière. Cette leçon, il la transpose dans sa musique, où chaque morceau devient une scène, chaque montée une lumière qui bascule, chaque silence un geste suspendu jusqu’à la délivrance finale. Myd délivre, et tout se résume peut-être en cette simple déclaration.
À ceux qui cherchent à l’ancrer dans l’héritage de la French Touch, ou n’importe où ailleurs, il oppose un sourire espiègle et trace sa propre trajectoire, une diagonale libre, affranchie des lignées et des cases. Sa musique ne cite pas le passé ; elle respire le présent, s’enroule autour de l’instant musical comme une liane contemporaine autour d’un arbre centenaire. Elle vit, organique, sans se plier aux attentes ou aux catégories, lierre de rien. Ou plutôt lierre d’absolument tout. Myd délivre nos nuits lasses de leurs insomnies, et avec elles les carcans de l’électro tel qu’on le conçoit.

© Pauline Mugnier
Culture is the New Black : Pour Mydnight, tu as utilisé plusieurs machines mythiques — le Roland SH-101, le Juno-60, le Prophet 5, la TR-909 — mais aussi des pédales et des bandes magnétiques pour provoquer des « accidents » sonores. Parmi toutes ces textures, quelle est la machine qui t’a le plus guidé, celle qui t’a forcé la main dans tes choix ?
Myd : Je crois que la machine la plus essentielle dans Mydnight, c’est… moi-même. C’est un peu le propre d’un producteur : les outils ne font pas ton son, ils le servent. Si tu me mettais demain dans un autre studio, avec un autre set-up, je pense que l’album ressemblerait malgré tout à Mydnight. Pas dans les détails, mais dans l’esprit, dans la manière dont il relie l’analogique et le digital. En fait, je me vois comme le moteur, et les instruments ne sont que des prolongements de mes mains. C’est comme un dessinateur : peu importe le pinceau ou le papier, tu reconnais toujours son trait. J’ai bossé dans plein de studios, parfois pour d’autres artistes, avec d’autres machines, d’autres acoustiques, et pourtant, mon son réapparaît toujours. Il finit toujours par remonter à la surface. C’est là, à mon sens, la vraie signature.
CNB : Tu sembles aussi avoir changé ta manière de composer entre Born a Loser et Mydnight. Est-ce que ce changement passe aussi par les instruments, les méthodes ?
Myd : Oui, totalement. J’ai changé, donc ma manière de composer a changé aussi. Mydnight est né d’un geste plus instinctif, plus libéré. J’ai voulu sortir du format « chanson » classique, me détacher des refrains calibrés, des structures trop sages. Je me suis autorisé davantage de sampling, ce que je m’interdisais un peu avant. Pedro Winter avait été un peu traumatisé par les samples à cause de la paperasse interminable que ça entraîne pour les clearances. Sur Born a Loser, il m’avait prévenu : “pas de samples”. Et puis, l’album a bien marché. Donc pour le suivant, c’est moi qui suis revenu le voir en disant : “Cette fois, il y en aura beaucoup.” Il n’était pas enchanté, mais il a fini par dire oui. Et heureusement, parce que cette liberté-là, elle a tout changé.
CNB : Après la perte d’un disque dur contenant des morceaux, tu as terminé certaines productions en direct sur Twitch, dans une sorte de studio sous pression avec le public connecté. Comment cette expérience a-t-elle transformé ta façon de produire ?
Myd : Ça a tout changé, vraiment. Habituellement, les dix derniers pourcents d’un projet sont les plus durs : les finitions, les mixs, les doutes. C’est un moment où tu dois être seul, ultra concentré, à te demander sans cesse : qu’est-ce qui fait qu’un morceau est terminé ? Qu’est-ce qui fait que tu es satisfait ? Souvent, c’est un passage douloureux : tu en as marre d’écouter le même morceau, tu ne sais plus si c’est bon ou pas. Alors j’ai voulu briser ce moment solitaire et le rendre plus joyeux, plus collectif. Twitch m’a permis de diluer ce stress : j’étais toujours en train de finir mes morceaux, mais dans une ambiance ludique, entouré virtuellement de centaines de gens qui vibraient avec moi. Ça a rendu la fin moins douloureuse, presque euphorique.
CNB : Dans ce processus, comment sais-tu quand t’arrêter ? Quand un morceau est « arrivé » à son point d’équilibre ?
Myd : C’est exactement comme une ascension. À un moment, tu sens que tu es au sommet : si tu continues, tu redescends. Quand tu avances sur un morceau et que tout ajout le dégrade, c’est que tu as atteint ce point-là. Parfois, tu vas trop loin — alors tu reviens à quelque chose de plus simple, plus juste. Par exemple, sur 9AM, il existait une version beaucoup plus produite, avec des cordes, une structure très pop. Mais ça a tué toute la fragilité du titre. C’était trop léché, presque cheesy. Alors j’ai tout redépouillé. Je suis revenu à cette forme brute, un peu à fleur de peau, presque comme une démo. Et c’est devenu la version définitive.
CNB : Est-ce que l’expérience du livestream t’a fait repenser certaines étapes de ton processus de création ?
Myd : Pas repenser, mais confirmer. Elle m’a conforté dans l’idée qu’il faut rester instinctif, s’amuser, garder du plaisir. Même si au bout d’un moment tu oublies la caméra, il reste cette présence du public, qui peut t’appeler, réagir, donner son avis. Ce lien maintient une légèreté, un côté ludique. Et quand tu t’amuses en studio, tu es forcément plus productif, plus sincère. C’était une sorte de rappel : la musique, ça doit rester un jeu. Un jeu exigeant, mais un jeu quand même.
CNB : Sur Song for You, on retrouve justement cette idée de joie immédiate, avec un mélange de sampling, de chant et de rythme très solaire. Peux-tu détailler la chaîne de production de ce morceau ? Comment s'est-il construit techniquement, entre choix du sample, traitement vocal et effets ?
Myd : Tout a commencé par le sample. J’étais tombé sur ce morceau, et j’ai tout de suite senti qu’il y avait du potentiel. Le thème m’a parlé. C’est le genre de moment où tu ne réfléchis pas : tu files en studio, tu le charges dans la machine, et tu vois ce qui se passe. Et là, la boucle tournait, sans fin. C’est un de ces samples que tu pourrais écouter dix minutes de plus sans t’ennuyer. Le morceau aurait pu durer six minutes de plus, mais je suis attaché aux formats courts. Il existe d’ailleurs une version longue qu’on a envoyée à quelques DJs. Ensuite, j’ai voulu construire le morceau non pas en structure “couplet-refrain”, mais avec cette logique de musique électronique : un A et un B. Le A tourne, puis quand tu t’en lasses, tu passes au B, qui doit être aussi intéressant que le premier. Pas une attente du refrain, mais une respiration naturelle. J’ai écrit et chanté la mélodie moi-même. Sur le premier album, j’avais fait appel à des potes, pas forcément des chanteurs, mais des voix sincères, brutes, un peu “feu de camp”.
Là, je voulais autre chose : un son plus chaud, plus club, plus sensuel. J’ai donc fait appel à un chœur londonien spécialisé dans la soul Motown. Je leur ai apporté les paroles et les maquettes, et on a passé deux jours ensemble à enregistrer. Ils ont fini sur presque tous les morceaux chantés de l’album. Ça a tout de suite apporté une chaleur nouvelle, une dimension soul qu’il n’y avait pas dans Born a Loser. Ça relie directement le disque à la house, au funk, alors que le premier était plus pop, plus folk. Le mix, lui, a été un enfer. Song for You a la même “maladie” que The Sun. Si le morceau sonne trop propre, trop bien, il perd son âme. Il devient clinique.
L’équilibre, c’était de le faire assez percutant pour le club, tout en gardant son bordel, cette humanité dans le bordel. J’avais en tête des artistes comme DJ Koze ou Cassius, qui jouent toujours avec cette frontière entre indie et électronique. Et puis, il y a une petite anecdote : ma voix est presque identique à celle du sample original. J’ai donc pu le réinterpréter sans qu’on sente la différence. Dans le morceau de base, la phrase disait : “I made a song for you to let you know that you can”. Je l’ai changée en “to let you know that I care”. Je trouvais ça plus juste, plus humain. Je l’ai rechantée, retraitée exactement comme le sample. Et personne ne peut vraiment entendre la différence. C’est mon petit secret de producteur.

© Pauline Mugnier
CNB : Sur Mydnight, on retrouve encore quelques traces du folk et de cette chaleur organique déjà présente sur ton premier album. Comment as-tu su équilibrer la densité club (les kicks, les basses lourdes, les samples), avec la finesse et la respiration qu’apportent les guitares ou les textures d’instruments plus acoustiques ?
Myd : Honnêtement, il n’y a pas de secret. C’est au cas par cas, morceau par morceau. Tout se joue au ressenti. C’est comme en cuisine : tu goûtes, tu ajustes, tu te demandes si ton plat est trop pimenté ou pas assez. C’est ça, le juste dosage entre la puissance et la douceur.
CNB : Et ça t’est déjà arrivé de devoir couper une piste organique, une guitare ou un instrument plus “vivant”, pour que le morceau respire mieux ?
Myd : Pas vraiment. En fait, c’est souvent l’inverse. J’ai plutôt tendance à remplacer des pistes trop digitales par des sons plus organiques. Par exemple, sur Our Home, on a l’impression d’un titre très électronique, alors qu’il l’est à peine. C’est presque un trompe-l’œil : chaque percussion est une vraie percussion, la basse vient d’une basse électrique, les voix sont naturelles, et le seul synthé principal passe dans un ampli. Le morceau pourrait être joué par un groupe. C’est ça qui m’amuse : brouiller les pistes.
CNB : Donc tu es toujours dans ce va-et-vient entre analogique et numérique ?
Myd : Exactement. Ce mélange, c’est ce qui rend même les morceaux électroniques touchants. Parce qu’ils ont cette fragilité, ce grain de vécu. Un synthé que tu branches directement dans ta carte son, qui passe ensuite dans ton ordi et devient un MP3, n’a jamais quitté le monde digital. Il reste figé, stérile. Alors que si tu le fais passer dans un ampli, que tu l’enregistres au micro, ou que tu le mêles à une vraie basse, à une batterie, il a déjà vécu quelque chose. Il a traversé l’air, vibré dans une pièce. Et ça, ça change tout.
CNB : Tu parles souvent de clubs comme la Fabrique à Londres ou Nighthead, qui t’ont beaucoup inspiré. En quoi l’architecture sonore de ces lieux t’a-t-elle influencé dans la façon de mixer, de produire, de spatialiser, ou de choisir tes fréquences ?
Myd : C’est un truc de son, avant tout. À un moment, il faut respecter les lois physiques de la musique club : si ton morceau manque de basses, s’il n’a pas d’aigus, il ne vivra pas dans une salle. Il y a des règles ultra simples mais fondamentales — dans une montée, tu retires un peu de basses ; dans un drop, tu les fais exploser. Ces “règles” m’ont aidé à ancrer mes morceaux dans le club, à leur donner ce poids dans le bas, cette ouverture dans le haut. Parce qu’un titre doit pouvoir s’enchaîner naturellement avec d’autres, s’intégrer dans un set. Et puis, il y a aussi ce paradoxe : parfois, tu entends un morceau en club, il te retourne le cerveau, et quand tu le réécoutes chez toi, tu le trouves… nul. C’est arrivé plein de fois, notamment avec des DJ comme Laurent Garnier. Je “shazamais” des tracks incroyables dans ses sets, je rentrais chez moi, et là, ça tombait à plat. En fait, c’est lui, son mix, le lieu, la foule, le son qui faisaient la magie.
CNB : Tu disais plus tôt être attaché au format court, mais est-ce que cette expérience club t’a aussi donné envie de te laisser plus de temps, d’aller plus loin dans les boucles, dans l’hypnose ?
Myd : Oui, clairement. Même si j’aime le format court, je ressens de plus en plus ce besoin de laisser respirer la boucle, de ne pas toujours chercher à dire quelque chose, d’être dans la répétition hypnotique. Ça, c’est venu des concerts, des clubs, de cette sensation que tu peux faire voyager les gens sans changer de section, juste en les maintenant dans une vibe.

© Pauline Mugnier
CNB : Tu utilises beaucoup la reverb et le delay, presque comme des effets à part entière. À quel moment la reverb devient-elle déterminante dans un morceau de Mydnight ? Et pourquoi l’utilises-tu autant ?
Myd : Je crois que c’est lié à ma manière de penser l’espace. J’aime imaginer chaque morceau dans un lieu, dans une acoustique. C’est peut-être une habitude héritée de la musique indie rock ou folk, où tu enregistres des groupes dans des pièces, et où le son vit à travers la salle. La reverb, c’est ce qui fait qu’un morceau respire. C’est ce qui donne la sensation que les sons ont une histoire spatiale. Ce qui est fascinant, c’est qu’il existe une infinité de reverbs, et que chacune crée un monde sonore différent. Sur cet album, j’ai utilisé des reverbs à convolution. Le principe est génial : tu enregistres la réponse acoustique d’un lieu — une salle de classe, un studio, une église — à l’aide d’un “sweep” (un balayage de toutes les fréquences), et tu peux ensuite reproduire exactement la réverbération de cet espace dans ton logiciel. Tu pourrais littéralement créer la reverb de ta salle de bain et t’en servir sur un titre. Sur 9AM et Since You’ve Been Gone, par exemple, on a utilisé une reverb de salle de classe. On voulait ce côté un peu naïf, presque enfantin, comme si des enfants chantaient en arrière-plan. Ça apporte une chaleur particulière, une douceur humaine que j’adore.
CNB : Tu chantes sur quasiment tous les titres de l’album. Quel a été le plus grand défi pour placer ta voix au centre du mix, surtout dans des morceaux pensés pour le club ?
Myd : Oui, je crois que je chante sur presque tout. Et le vrai défi, c’est l’entre-deux. Trouver l’équilibre entre pop et club sans tomber dans une zone floue ou gênante. Je ne voulais pas qu’on ait l’impression que ce soit de la pop électronique “tiède”, ce style un peu relou. L’objectif, c’était de garder la chaleur de la chanson tout en ayant l’énergie du club. Et je pense que l’équilibre trouvé me ressemble : c’est instinctif, sincère, un peu bancal parfois, mais vivant.
CNB : Et vocalement, il y a un morceau qui t’a poussé à sortir de ta zone de confort ?
Myd : Oui, All That Glitters Is Not Gold. C’était un vrai défi. C’est un des rares morceaux où je chante en lead, sans chœurs derrière pour me porter. Et en plus, j’étais aux côtés de Channel Tres et Trueno, qui sont des chanteurs incroyablement à l’aise avec leur voix. Quand tu invites des pointures comme ça, il faut être à la hauteur. Il ne faut pas que le morceau sonne comme “Myd, le petit Français avec les gros guests”. Et je trouve qu’on a réussi ce pari. Le morceau ne sonne pas comme une addition de talents, mais comme une vraie collaboration. On l’a fait ensemble, dans la même énergie, sans hiérarchie. Et ça, c’est la plus belle victoire.
CNB : T’as souvent évoqué tes morceaux préférés dans l’album. J’ai lu quelque part que tu aimais particulièrement The Wizard.
Myd : Peut-être, ou peut-être que j’en ai cité un autre ailleurs, je change souvent d’avis. The Wizard, oui, c’est un morceau un peu sorti d’un excès de légèreté. Il est né d’un sentiment de joie pure, sans prétention, juste l’envie de faire quelque chose de solaire. Une idée légère, presque jetée comme ça, sans intention de production derrière. Et pourtant, c’est devenu un vrai morceau. C’est ça, le mystère de la création. Tout dépend du degré de réalisme de l’idée. Parfois, tu imagines un truc irréalisable. D’autres fois, une combinaison qui paraît impossible fonctionne parfaitement. Pour The Wizard, par exemple, je m’étais dit : tiens, et si je mélangeais de la techno avec du funk nigérian ? Sur le papier, c’est bancal. En pratique, ça s’est imposé naturellement, comme une évidence. Il y avait ce sample, cette alchimie, ce petit quelque chose d’imprévisible qui a tout fait basculer du bon côté.
À l’inverse, quand j’ai voulu faire un morceau de UK Garage uniquement à partir de sons acoustiques (c’est devenu “Our Home”), c’était un cauchemar technique. Tu te rends compte qu’il est bien plus compliqué de faire groover des éléments qui ne sont pas faits pour taper. Et pourtant, c’est là que réside souvent le charme : dans cette lutte pour faire sonner l’impossible. En studio, tu ne peux jamais vraiment savoir. La seule règle, c’est d’essayer. Tant que tu ne l’as pas fait, l’idée reste valide. Et surtout, quand tu travailles à plusieurs, il ne faut jamais dire “ça ne marchera pas”. Il faut tester, expérimenter. Et une fois que tu as essayé, tu sais. C’est aussi simple que ça.

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CNB : Est-ce que tu sais toujours où tu vas quand tu composes ?
Myd : Surtout pas. Sinon, c’est pas drôle. Si j’avais besoin d’un objectif clair, j’irais au bureau. Ce que j’aime, c’est le hasard, le jeu, les accidents heureux. Il faut que la musique garde ce côté ludique, presque enfantin. Il faut rester ouvert, parce que l’inspiration, tu ne l’as pas en permanence. Parfois, tu détestes ce que tu fais. Parfois, tu bloques. Et puis un détail minuscule te débloque tout. Ce petit truc imprévisible qui, soudain, éclaire la voie. Souvent, ce sont ces instants-là qui changent tout. Par exemple, sur The Sun, un ami à moi, Sam Tiba, producteur de rap et membre de Club Cheval, est passé au studio alors que le morceau était quasiment fini. Il a écouté, puis il m’a dit : “Regarde, cette partie d’accord du pont, elle est incroyable. Mets-la sur tout le morceau. Enlève tout le reste.” Sur le moment, ça me paraissait absurde. Et en fait, il avait raison. C’est devenu la colonne vertébrale du morceau. C’est pareil avec DJ Kore, avec qui je bosse souvent. Lui, quand il termine un album, il garde toujours une toute petite place pour un dernier morceau. Et c’est presque toujours celui-là, le plus fort. Il y a toujours ce moment après la “fin”, où tu te dis : allez, on rouvre un peu, on refait deux ou trois sessions. C’est souvent là que la magie opère. En réalité, tu ne sais jamais d’où ça vient. Il faut juste être prêt, disponible. C’est ce mélange d’excitation et de frustration : plus tu bosses, plus tu es assidu, plus tu provoques la chance que quelque chose de magique se produise. Le vrai défi, c’est de garder ça vivant sur le long terme.
CNB : Tu as perdu ton disque dur pendant la création de l’album, non ? Tu es vraiment reparti de zéro ?
Myd : Oui… enfin, pas tout à fait zéro. J’avais un backup. Quand je parle des “10 % restants”, c’était ça : il restait à terminer, à reconstruire. J’avais perdu deux morceaux, mais l’essentiel était sauvé. Sur le coup, c’était la panique. Pour moi, pour le label, pour mon management. C’est violent, parce que tu as un planning, une sortie prévue, tout un cycle de communication. Et d’un coup, tout s’effondre. Mais, avec le recul, c’était un mal pour un bien. Plutôt que de sortir deux singles un peu timides — des “singles zéro” juste pour tâter le terrain —, on a décidé de tout repenser. On a créé un livestream comme première prise de parole. Et finalement, c’était plus fort. Plus juste.
CNB : Ton studio, ton chez-toi, c’est un peu le reflet de ton état d’esprit, non ?
Myd : Oui, complètement. En fait, il n’y a pas de séparation entre ma vie et ma musique. Je ne me lève pas en me disant “ok, maintenant je suis Myd, je vais bosser”. Et je ne ferme pas la porte du studio le soir pour redevenir quelqu’un d’autre. Je vis musique. C’est pas un métier, c’est une condition. Je me réveille musicien, je me couche musicien, et souvent, je rêve musique aussi. Donc oui, mon espace doit m’inspirer. Il doit me ressembler. Il y a des souvenirs partout : des objets que j’ai créés, des disques, des livres, des instruments, des bouts d’expériences. Mon studio, c’est une extension de moi. C’est chez moi, et chez moi, c’est mon studio. C’est beau et un peu épuisant à la fois, parce que tu ne t’arrêtes jamais vraiment. Mais c’est aussi ça, la liberté : pouvoir t’arrêter quand tu veux, sans contrainte. Tout est lié.
CNB : Sur le plan des textes, tes morceaux parlent beaucoup de nuit, de perte, de fête, de solitude… Est-ce que ton écriture a changé entre tes débuts et Mydnight ?
Myd : Pas tant, en vérité. Je n’écris pas énormément de textes, ni beaucoup de mots en général. Mes chansons ne sont pas vraiment des “chansons” au sens classique : elles tournent souvent autour de hooks, de samples retravaillés, de phrases simples mais évocatrices. Les thèmes, eux, sont restés les mêmes. Ce que j’explorais sur le premier album continue de résonner dans Mydnight. Il y a une continuité entre les deux, un fil invisible. Peut-être que le premier était plus “jour” et celui-ci plus “nuit”, mais même là, ce n’est pas si net. Les deux se répondent. Les morceaux du premier album parlaient déjà de communauté, de liens, de moments de partage. Ceux de Mydnight prolongent cette idée, mais sous un angle un peu plus intime, plus sensoriel. C’est un dialogue, pas une rupture.
CNB : Tu disais vouloir emmener le public avec toi dans une expérience de communion, de fête partagée. Concrètement, comment tu conçois cette idée sur scène ?
Myd : L’idée, c’est de partir d’une question simple : comment on fait la meilleure fête possible ? Et surtout, comment on fait pour être ensemble, malgré la séparation physique entre la scène et le public. Une des réponses que j’ai trouvées, c’est l’image. Sur cette tournée, et notamment au Zénith de Paris, il y aura tout un jeu de caméras : certaines seront fixées, d’autres données directement au public. Les gens pourront filmer ce qu’ils veulent — leurs potes, la foule, moi, les lumières — et ces images seront diffusées en direct sur les écrans. L’écran devient alors un espace partagé, pas juste un outil de projection scénique. C’est une manière de casser la frontière entre celui qui fait la fête et celui qui la regarde. Que tout le monde soit un peu réalisateur de ce moment collectif.
CNB : C’est un peu comme une version augmentée de ce que Jamie xx a pu faire sur ses lives, quand il se fond littéralement dans le public filmé…
Myd : Exactement. Sauf qu’ici, c’est le public qui devient le cadreur, le témoin, le participant. Jamie filme la foule, moi je veux que la foule filme la fête. Parce que ce serait absurde de faire un album sur la danse, sur la joie d’être ensemble, et d’avoir un show où les gens sont juste spectateurs, silencieux, comme au théâtre. Ce serait un contresens total. Là, ils sont dans la lumière, littéralement. Et moi aussi, je m’y perds un peu — mais c’est ça le but.

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CNB : Tu as un diplôme de la FEMIS, en production de bande originale et en ingénierie du son. Est-ce que cette formation influence encore ta manière de composer, d’arranger ou même de penser la finalisation d’un morceau ? Tu gardes des réflexes de « ciné-son » ?
Myd : Des réflexes féministes, peut-être ! Non, plus sérieusement, je ne mixe ni ne masterise mes morceaux, donc techniquement, pas vraiment. Mais ce que m’a appris la FEMIS, c’est autre chose. D’abord, à terminer un projet. À aller jusqu’au bout, coûte que coûte. Dans un film, t’es jamais seul : il faut embarquer tout le monde avec toi, de l’ingé son au monteur, du réal au producteur. Tu deviens un capitaine, pas juste un artisan. Et puis il y a le rapport entre l’intention artistique et la technique : comment transformer une idée, un sentiment, en quelque chose de concret, que ce soit un son, un mix ou une image. C’est cette translation-là, entre la tête et la matière, qui m’est restée.
CNB : Tu sembles d’ailleurs créer beaucoup à partir d’images. Est-ce que ton œil de cinéaste influence directement ta musique ?
Myd : Complètement. J’ai volé un trick à un producteur que j’adore, Kenny Beats, à Los Angeles. Dans son studio, il a toujours des films qui tournent en fond sur plusieurs écrans. Depuis, je fais pareil. Pendant que je compose, j’ai un écran Ableton — pas très sexy, très gris — et à côté, des images qui tournent en boucle. Des extraits de films, de clips, des visuels de rave 90s, des films psychédéliques 70s, parfois même des documentaires animaliers. Ça crée une autre énergie dans la pièce. Plutôt que de scroller sur Insta quand t’as un moment de flottement, tu lèves les yeux, tu vois une image absurde, belle, étrange — et hop, ça relance ton imagination. C’est une manière d’alimenter la machine sans la forcer.
CNB : Sur Mydnight, tu dis avoir voulu plus d’énergie, plus de kits, plus de textures percussives. Comment tu as travaillé le son, notamment les kicks et les basses ? Tu construis tes propres banques ?
Myd : Pas pour les kicks, non. J’ai un souvenir très clair d’une conversation avec le duo finlandais Renaissance Man, qui me disaient : « On a les plus gros kicks du monde. » Et eux m’ont appris un truc : ça ne sert à rien de vouloir créer ton propre kick. Il y en a déjà un, quelque part, qui sera parfait pour ton morceau. Le job, c’est de le trouver, pas de le réinventer. En revanche, j’ai énormément enregistré mes propres percussions, souvent à partir de sons non percussifs : des objets, des bruits de bouche, des frottements. Par exemple, sur 9AM, il y a plein de petits FX que j’ai faits moi-même. Ça ne s’entend pas comme des sons humains, mais ça ajoute une forme de présence, de respiration. Et après, l’équilibre entre les basses et les kicks, c’est du cas par cas. Il n’y a pas de recette. Parfois tu veux que la basse prenne tout l’espace, parfois que le kick soit une pulsation discrète. Tout dépend de la sensation de danse, du groove. Le seul critère, c’est : est-ce que ça bouge ? Si ça ne danse pas, c’est qu’il y a un problème.
CNB : Tu es souvent rattaché à la French Touch, mais tu sembles aussi beaucoup regarder vers les scènes anglaises, voire mondiales. Si tu devais situer Mydnight dans cette ligne historique, où le placerais-tu ?
Myd : Franchement, je ne sais pas, et ça ne m’intéresse pas vraiment. Se placer dans une lignée, c’est un truc de journaliste (sans offense). Parce que si demain je change de style, qu’est-ce que ça veut dire ? Que je sors du mouvement ? Que je trahis la French Touch ? J’ai pas envie de porter ce poids. Je préfère penser ma musique comme une route parallèle à plein d’autres artistes que j’aime — Justice, Kavinsky, Disclosure, Jamie xx, même Rosin Murphy ou Overmono. On avance côte à côte, chacun raconte sa version du présent. Les cases, c’est pratique pour les disquaires, pas pour les musiciens.
CNB : Tu jongles entre studio, live, clip, DJ set. Comment décides-tu de ce qui reste en studio et de ce qui devient partie intégrante de la performance live ?
Myd : Pour Mydnight, j’ai vraiment arrêté de tourner presque un an et demi pour me concentrer sur le disque. Il faut le prévoir, parce qu’une tournée, c’est un calendrier qui se réserve longtemps à l’avance. Là, je voulais me poser pour raconter une histoire en musique, pas juste accumuler des tracks. Et une fois l’album terminé, tu te demandes : comment je la raconte maintenant sur scène ? Le live-stream qu’on a fait au début, c’était une sorte de prologue, un brouillon géant. Et ensuite, tu repars en studio, tu re-remixes tes morceaux pour la scène, pour qu’ils respirent différemment. Aujourd’hui, on a la chance de pouvoir sortir un son, un clip, un set très vite. Le revers, c’est qu’il faut être présent tout le temps, parce que le public a moins de mémoire. Tu dois réapparaître souvent, réactiver le lien. C’est excitant, mais un peu épuisant aussi.
CNB : Et pour conclure… sais-tu pourquoi tu fais de la musique ?
Myd : Parce que je n’ai pas le choix. Si je n’en fais pas, je suis malheureux. C’est vraiment une question de survie. Je l’ai compris assez tard, d’ailleurs. C’est comme quand tu oublies de boire toute la journée, et que tu te sens mal sans savoir pourquoi. Et puis tu bois un verre d’eau : et tout rentre dans l’ordre. La musique, c’est pareil. C’est ce verre d’eau. C’est vital.
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© Pauline Mugnier