top of page

Victor Le Masne : des JO aux Jeux d’eau de Ravel 

  • Martin Ferron
  • 24 nov.
  • 9 min de lecture

À la croisée de la musique classique, de la pop et de l’électro, Victor Le Masne sort Ravel Recomposed, un album anniversaire pour les 150 ans du compositeur français. 


ree

© Pauline Mugnier


Après plusieurs années de travail à composer, enregistrer et coordonner la musique de Paris 2024, Victor Le Masne aurait bien mérité une bonne pause … C’est raté. À la sortie des Jeux, Deutsche Grammophon, un éminent label de musique classique, lui propose un nouveau projet : faire un album “Recomposed” sur Ravel à l’occasion du 150e anniversaire du compositeur. L’occasion est trop belle, les vacances attendront. 


C’est que les recompositions, cet auteur-compositeur et producteur, en a fait une spécialité. D’abord avec la reprise en 2022 de Starmania, l’opéra-rock de Michel Berger, dont il assure la direction musicale. Puis, pendant les JO où ses recompositions - dont celle remarquée de La Marseillaise - ont mis le répertoire français à l’honneur. 


Ce nouveau projet, tourné vers la musique classique, est donc autant une rupture qu'une continuité de son travail. Mais paradoxalement, c’est aussi un album très personnel, comme la synthèse de toute la musique qui a nourri Victor Le Masne. Le résultat : un album lumineux et généreux, où musique classique, pop et électro dialoguent ensemble.


À l’occasion de la sortie de Ravel Recomposed le 21 novembre, Victor Le Masne nous a accueillis entre deux séances de travail. Rencontre. 


Culture is the New Black : Tu nous accueilles ici à Motorbass, un mythique studio parisien. C’est quoi ta relation à ce lieu ? 


Victor Le Masne : Ce lieu pour moi, il est très très important. C’était le studio de mon ami et mentor Philippe Zdar (ndlr, producteur, membre du duo électro Cassius). Il nous avait fait le grand honneur de produire Alésia le deuxième album de Housse de Racket notre groupe avec mon ami d’enfance Pierre Leroux. 


Philippe, c’était un personnage incroyable, très vivant, très humain … mais aussi globalement très en retard. On devait commencer l’enregistrement de l’album en mars 2011, et lui était à la bourre. Il était sur des projets avec Phoenix, les Beastie Boys, Franz Ferdinand,  que des trucs supers intéressants ! Au final, on a commencé à produire l’album avec peut-être huit mois de retard ! Mais plutôt que de nous renvoyer chez nous, il nous a proposé de rester à demeure au studio. C’était génial, avec Pierre on était vraiment au coeur du réacteur, et c’est comme ça que j’ai eu l’occasion de jouer sur des tracks pour The Rapture, ou sur I <3 U So de Cassius. Depuis cette période, je suis très souvent revenu ici à Motorbass. 


Ça a été un choc quand Philippe nous a quittés en 2019. Mais très vite on a décidé de continuer à faire vivre le studio. C’était trop important que ça reste un lieu de joie, de musique. Depuis, ici, c’est devenu une forme de seconde maison pour moi. Je suis resté en quelque sorte résident du lieu. 


CNB : Ton nouvel album Ravel Recomposed est sorti ce 21 novembre. Comment est né ce projet ? 


Victor Le Masne : Ce projet, il arrive dans la continuité de mon travail pour les Jeux olympiques. Comme directeur musical de Paris 2024, j’ai cherché à rendre hommage au répertoire français dans sa globalité. Donc le répertoire français c’est aussi bien Claude François, que Justice, que Kavinsky ou … que Ravel ! 


Peu de temps après les Jeux, Christian Badzura, le vice-président et directeur artistique du label Deutsche Grammophon, m’a appelé pour me proposer de faire un disque Recomposed sur Ravel. Pour moi c’était fou. Ravel, je l’ai toujours écouté, c’est vraiment mon compositeur préféré !


Peu de temps après, il est venu à Paris et je lui ai présenté mon travail pour les Jeux. Il y avait déjà une relecture du Boléro que j’avais écrite pour une des cérémonies, et je ne sais plus comment, mais on s’est retrouvé à parler du groupe Foals. On a essayé de passer leur Spanish Sahara sur le Boléro… C’est quand même trop marrant de se retrouver à Motorbass avec le boss de Deutsche Grammophon et d’écouter un titre de Foals. Quand on s’est quitté, on s’est dit qu’il y avait un disque à faire !


CNB : Tu disais que Ravel était ton compositeur préféré. C’est quoi ton rapport à son œuvre ? 


Victor Le Masne : Pour moi, Ravel est rattaché à l’enfance, mes parents en passaient souvent à la maison. C’était une écoute d’enfant bien sûr, pas du tout dans l’analyse … je l’écoutais comme je pouvais écouter Michael Jackson ou Bioman. Je me souviens que ma mère aimait “L’Enfant et le Sortilège”. C’est un opéra qui me faisait un peu peur, mais que j’aimais bien.


Puis à 19 ans, lorsque je me suis installé seul dans un petit studio pas loin d’ici, j’ai redécouvert son œuvre. J’avais juste une table, une chaise et une chaîne hi-fi un peu à l’ancienne. Et c’est plutôt sympa, mon père qui est également compositeur, m’avait fait une cassette avec des morceaux de mon enfance. Je l’ai beaucoup écouté, ça a été une vraie redécouverte de Ravel. Mais cette fois, dans une découverte beaucoup plus analytique. J’ai réalisé à quel point c’était sophistiqué et moderne. Dans toutes les musiques de films que j’adorais, j’entendais des citations, des clins d'œil à l'œuvre de Ravel


Et puis, il y a quelque chose qui me parle vraiment dans sa musique. Dans une sorte de métaverse incroyable, Ravel pourrait être le grand pionnier de la French Touch ! On en avait parlé avec Christian Badzura, le directeur artistique de Deutsche Grammophon. Je crois que l’idée lui a beaucoup plu !


CNB : Ravel c’est le premier pionnier de la French Touch ? 


Victor Le Masne : C’est que la French Touch, c’est des boucles qui sont toujours basées sur des grilles d’accords très émotives, très pop… Dans ce registre, Ravel, c’est le maître. C’est lui qui a presque inventé ce truc.  Ça m’a sauté aux yeux en mettant à travailler sur le disque. 


Et puis forcément, il y a le Boléro qui est un morceau particulier. Si c’est du pur génie, c’est par son aspect répétitif. Il y a là dedans,  peut-être pas l’invention de la techno, mais en tout cas de cette idée de plaisir dans la répétition jusqu’à la transe. Je ne sais pas si c’est vrai, mais on dit que c’est une usine près de chez lui qui lui a inspiré cette idée. Pour moi, Ravel, c’est presque le père de Kraftwerk. 


ree

© Pauline Mugnier


CNB : En parlant du Boléro, c’est difficile de parler de Ravel sans évoquer ce morceau. Le morceau est tellement interprété, que certains affirment qu’il est joué en continu …  Tu as fait comment pour y ajouter de ta touche ? 


Victor Le Masne : Le Boléro, c’est un véritable traité d’orchestration. Il y a une sorte de génie mathématique dans la manière qu’a Ravel de faire intervenir les différentes parties du morceau. Et au-delà de la sophistication de l’arrangement, c’est aussi un morceau d’une simplicité incroyable qui dégage une grande émotion. C’est pour ça que le Boléro est devenu un méga tube. 


Bref, pas facile de passer derrière ça ! Pour créer une rupture, je suis parti sur une autre grille d’accords. J’ai aussi décidé de retirer la caisse claire, que je ne cite qu’à la fin de mon morceau, comme un clin d'œil. Côté arrangements, j’ai cherché une atmosphère entre la froideur des synthétiseurs, et la chaleur de cordes très généreuses, très pop. Et je me suis dit que pour faire une proposition différente, je pourrais aussi faire appel à Rahim (ndlr, également connue sous le nom de Christine and the Queens), pour apporter du chant. On avait déjà pu travailler ensemble pour les Jeux paralympiques. J’adore sa voix, sa musicalité. 


Au final on arrive à un Boléro assez loin de l'original, même si j’en reprends quand même la mélodie. C’est un Boléro pop, mais avec quand même une sorte de mystique, parce que Rahim, il est toujours un peu mystérieux dans son approche. 


CBN : Ravel porte cette étiquette de monstre sacré de la musique classique. Tu n’as pas eu d’appréhension en te lançant dans ce disque ? 


Victor Le Masne : Si, si, complètement. La première fois que j’ai parlé de ce projet à mon père, il était genre : “Quoi, Comment !?”. Comme si je m'apprêtais à commettre un sacrilège [rire]. 


Et c’est sûr qu’au début, j’avais un peu d’appréhension. Mais après, porté par la confiance que le label Deutsche Grammophon m’a accordé et stimulé par ce challenge assez fou, j’ai très vite eu envie d’au moins d’essayer. Je me suis dit qu’en m’y mettant, je serais vite fixé si le projet était possible ou non. 


Si on travaille avec respect et humilité, en essayant de faire quelque chose de différent, on est plus dans l’hommage que dans le sacrilège. Quand Gainsbourg part d’un prélude de Chopin pour écrire Jane B., on est très content de continuer à écouter Chopin, et on est très content d’écouter Gainsbourg. Je ne me compare ni à l’un, ni à l’autre, mais je pense qu’il faut se détendre sur ce truc. Ce disque, c'est une proposition, une lecture que je propose de quelques morceaux. Ça n’enlèvera rien à l'œuvre de Ravel. 


CNB : En discutant avec toi, on comprend que Ravel a eu un impact considérable sur la musique. Qu’est-ce qu’il nous reste de sa musique aujourd’hui? 


Victor Le Masne : C’est autant un apport comme compositeur, que comme orchestrateur. Il arrive avec une composition géniale, mais ce qui est encore plus impressionnant, c’est la texture qu’il arrive à mettre. C’est un peu comme le travail du chef opérateur au cinéma, qui arrive à donner une certaine couleur à un film. À ce niveau-là, les orchestrations de Ravel se rapprochent d’une horlogerie suisse. Il va employer des timbres pour faire des associations inédites, souvent très très narratives. Des couleurs très précises, liées à des mélodies, la plupart du temps, juste hallucinantes. 


Le parallèle avec le chef opérateur est marrant, parce que l’héritage musical de Ravel, on le retrouve très nettement dans la grande musique de film. Bernard Herrmann pour Hitchcock, John Williams et Maurice Jarre, pour moi, ils sont totalement Ravélien. Et donc, directement ou indirectement, Ravel c’est une influence à l’échelle mondiale. 


Et c’est marrant ! Moi, je suis un grand fan de Ryuichi Sakamoto, et lui, il était fou de Ravel. Et mine de rien, ce rapport avec le Japon est plutôt fort. Quand j'ai annoncé que je sortais le disque, plein de japonais m'ont écrit, notamment une association qui s'appelle littéralement “Les amis de Ravel au Japon”. J’aime bien cette idée de cousinade japonaise-française.


CNB : Depuis ton travail sur les JO, tu travailles de plus en plus avec des ensembles orchestraux. Pour autant tes racines pop et électro ne sont jamais bien loin non ? 


Victor Le Masne : Mon coeur est pop, même quand je travaille avec un orchestre on continue à entendre des harmonies qui viennent de ce monde-là. Et puis, j’aime bien cette idée de rencontre, d’hybridation dans la musique. C’est bête à dire, mais je suis passionné d’harmonies. Si on reprend l’exemple de La Marseillaise que j’ai proposé pour les Jeux, c’est intéressant de se dire : “Tiens cette note, on la connaît par coeur sur cet accord, mais si je change d’accord ça va sonner complètement différemment.”  


Puis, j’aime bien le fait que ma formation classique et mes expériences pop se nourrissent l’une de l’autre. D’un côté, quand je travaille avec des orchestres, je ne suis pas vraiment conventionnel. Et d’un autre, lorsque je travaille comme producteur avec Philippe Katerine ou Kavinsky, j’ai aussi un bagage harmonique qui me permet de proposer des grilles d’accords un peu différentes. C'est toujours intéressant d'être un outsider dans un monde, comme dans l'autre. 


CNB : De la pop électro des débuts d’Housse de Racket, au classique avec Ravel, en passant par le réarrangement de musiques des années 80 ou par tes créations pour les Jeux de Paris … Le moins qu’on puisse dire, c’est que les projets s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Comment tu expliques cette diversité dans tes projets ? 


Victor Le Masne : Je m'en fais un peu l'analyse maintenant parce que le temps passe et que je commence à regarder un peu dans le rétro… mais c'est sans doute une forme de survie. On en revient à cette idée d’être un outsider, j’aime bien me dire que je suis en perpétuelle réinvention. 


Et puis, c’est aussi peut-être mon mode de fonctionnement. Aujourd’hui, même si ça date un peu, je peux réécouter avec plaisir un morceau de Housse de Racket car ce n’est plus mon quotidien. Je suis fier de tout bien sûr, mais j’ai besoin de vivre avec le prochain truc. Prendre toutes mes frustrations dans un disque et le refaire deux cent fois, ça ne m’intéresse pas tellement. Alors plutôt que de me dire : “bon, alors le prochain album, je vais faire le même, mais en mieux”, je crois que je préfère juste faire autre chose. À la fin, c’est peut-être ça qui constitue une carrière. 


Ravel Recomposed disponible sur toutes les plateformes de streaming

Suivez Victor Le Masne sur les réseaux : victor_le_masne


ree

© Pauline Mugnier


bottom of page