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Rencontre avec Miel de Montagne : "Ouin Ouin", nectar de chagrin

  • Hugo Lafont
  • 7 mai
  • 12 min de lecture

On l’a retrouvé à l’heure où les terrasses commencent à se remplir doucement, ce moment flou entre la fin de journée et le préambule de la nuit. Il faisait beau, bien sûr. Et Miel de Montagne était fidèle à lui-même : calme mais drôle, posé mais électrique, tout en digressions fines et en silences éloquents. On s’est assis à une table, au soleil, et très vite, la discussion a glissé comme une nappe qui prend le vent — un peu de tout, mais surtout du vrai.


Car avec lui, rien ne sonne fabriqué. Pas de storytelling plaqué, pas de posture triste ou de coolerie surjouée. Ouin Ouin, son nouvel album sorti le 4 avril, ne prétend à rien d’autre que d’être lui, à l’instant T : un garçon hypersensible qui a appris à faire avec, à en faire une force, une esthétique, un terrain de jeu. Un disque fait maison mais habité, qui rit souvent, pleure parfois, et n’essaie jamais de trancher entre les deux. Il ne s’agit pas de choisir, mais de tout vivre — même l’ambigu, même le flou. Et tant mieux si ça déborde.


Il y a chez Miel de Montagne une élégance désarmante : celle de dire les choses simples avec des mots à lui, de rester proche de ce qu’il ressent sans pour autant l’imposer. Il parle comme il chante, avec un demi-sourire et une franchise tranquille. Il sait très bien ce qu’il fait, mais il ne le brandit pas. Il préfère parler d’ennui fertile, de soirées ratées, de musique qui apaise autant qu’elle peut angoisser, de ses parents à la campagne, d’un ado qu’il n’essaie pas de réparer, juste de respecter.


Le 16 mai, il jouera à l’Olympia. Et ce sera tout sauf un point d’arrivée. Plutôt un checkpoint tendre, à cocher avec ses amis, son équipe, les gens qui l’écoutent depuis le début ou juste depuis hier. Un moment pour respirer ensemble. Car ce qu’il fabrique, au fond, ce n’est pas seulement de la musique : c’est du lien. Invisible, mais costaud. Un truc qui dure. Comme ce moment au bar, où la lumière ne faisait qu’accentuer ce qu’on portait déjà en nous.






© Pauline Mugnier


Culture is the New Black : Le titre « Ouin Ouin » pourrait faire penser à une blague, mais à l’écoute, on comprend qu’il s’agit d’une véritable invitation à vivre avec nos petits chagrins et tracas quotidiens. Tu as cherché à désamorcer la douleur avec ce titre ? Ou à la déguiser pour qu’on l’écoute sans se protéger ?


MIEL DE MONTAGNE : C’est d’une sincérité totale. Il n’y a pas la moindre façade, aucun artifice. Les textes parlent de larmes réelles — des discrètes comme des torrents. Mais j’ai ce réflexe, presque instinctif, de toujours glisser une pointe d’humour, même dans les moments les plus sérieux. Parce qu’au fond, pourquoi rester figé dans le premier degré ? Le titre, justement, joue sur cette ambiguïté : il porte en lui ce second degré que je cherche en permanence, mais le “Ouin Ouin”, lui, est bien là, sincère, assumé, et c’est une main tendue pour pleurer ensemble, si on en a besoin. Je ne peux pas prédire si les gens pleureront dessus comme moi je l’ai fait en l’écrivant, mais peu importe. L’élan, lui, est vrai.


CNB : Tu dis souvent que la musique t’aide à ne pas angoisser. Mais est-ce que tu l’as déjà vue empirer les choses ? T’as déjà fini un morceau en te sentant plus vide qu’avant de l’écrire ?


MIEL DE MONTAGNE : Ce que tu dis me rappelle une scène très précise. J’étais à Bruxelles, invité à une soirée. Et tu vois, ce moment juste avant de sociabiliser, quand t’es encore dans l’entre-deux, un peu mal à l’aise… Avant, je trouvais ça pesant. Mais avec le temps, j’ai compris que ce flottement-là avait sa propre beauté. Comme un animal sauvage qui hésite avant d’apprivoiser l’espace. Aujourd’hui, j’essaie d’aimer cette phase d’adaptation, ce passage fragile avant que la soirée ne prenne vraiment.

Ce soir-là, pourtant, c’était tendu. J’étais anxieux, un pote était avec moi, et une fille enchaînait des morceaux que je ne connaissais pas du tout — un son après l’autre, ça empirait tout. La musique, au lieu de m’apaiser, creusait mon malaise. C’est là que j’ai compris : elle peut aussi nourrir l’angoisse, accentuer ce que tu ressens déjà. Heureusement, on a fini par prendre le contrôle de la playlist, on a pu souffler un peu. Mais oui, ce jour-là, j’ai compris que la musique n’est pas toujours refuge — parfois, elle est miroir, et c’est pas toujours simple à regarder !


CNB : Ta musique est à la fois directe et floue, comme si elle cherchait à dire quelque chose d’indicible. Est-ce que tu écris pour comprendre ce que tu ressens, ou pour ne plus avoir à l’expliquer ?


MIEL DE MONTAGNE : Franchement, je ne sais pas trop. J’ai l’impression que je crée parce que j’en ai besoin, un peu comme on respire, ou comme un gamin qui joue sans se poser de questions. C’est instinctif, vital, et ça me recentre. Quand je fais de la musique, j’ai ce sentiment d’évidence, comme si je mangeais une madeleine : d’un coup, je redeviens l’enfant que j’étais, tout en étant pleinement moi, ici, maintenant.

Il y a aussi cette recherche de sensation pure, presque physique. Parfois, jouer, c’est comme me défoncer — je peux passer des heures, jusqu’à l’aube, juste parce qu’une boucle m’obsède. C’est un moyen de sortir du réel pour mieux l’éprouver, de le toucher du doigt autrement. La musique, pour moi, c’est moins une explication qu’un vertige. Et dans ce vertige-là, je me sens vivant.



© Pauline Mugnier


CNB : Tu dis que la chanson « Je plonge » est né en plein chagrin, entouré d’amis et de soleil. Est-ce que c’est plus dur d’être triste quand tout autour de toi est beau ?


MIEL DE MONTAGNE : Ce jour-là, malgré la peine, j’étais profondément reconnaissant d’être entouré. Le soleil, mes amis… tout ça m’aidait à tenir. Leur présence rendait les choses plus douces, et surtout, je pouvais leur parler. Mais ce qui est étrange, presque troublant, c’est ce décalage entre ce que tu ressens et ce qui t’entoure. Tu fais partie du monde, tu ris, tu échanges, mais au fond, tu portes un poids que personne ne voit vraiment. Tu vis cette solitude intérieure, discrète, qu’on n’ose pas trop exposer, de peur d’être celui qui plombe l’ambiance. Alors je me suis un peu tu. Et au lieu de parler, j’ai écrit. C’est comme ça qu’est née cette chanson. Je l’ai commencée seul, chez moi, et puis plus tard, à Marseille, ma sœur m’a filé un coup de main pour la terminer. C’est une chanson écrite grâce aux autres, mais en leur absence. Comme une façon de leur parler sans les déranger.


CNB : Tu fais preuve dans ta musique d’une réelle transparence et authenticité. Est-ce que t’as peur parfois qu’on te comprenne trop bien ? Ou qu’on s’arrête à la surface ?


MIEL DE MONTAGNE : Oui, je me pose souvent la question. Jusqu’où aller ? Où placer la frontière entre pudeur et vérité ? J’ai cette volonté de rester dans un langage pop, accessible. J’écoute beaucoup de musique anglo-saxonne, et souvent, je ne fais même pas attention aux paroles, je me laisse porter par la mélodie, par l’intention musicale. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je chante en français : parce que je veux que le texte compte vraiment.

Mais paradoxalement, même en écrivant, je cherche à garder une certaine opacité. J’aime quand une chanson laisse plusieurs portes ouvertes. Elle part d’une émotion très intime, oui, mais je l’habille pour qu’elle puisse toucher quelqu’un à 18, à 40 ou à 60 ans — chacun avec sa propre lecture, son propre vécu. Ce flou, il est voulu. Il permet l’identification, il rend l’émotion plus universelle.

Si je rentre trop dans le détail, je casse ce lien. J’adore les œuvres qui laissent une part d’ombre, comme ces films aux fins ouvertes, qui t’accompagnent encore bien après le générique. Là, ton cerveau devient actif, tu continues de créer avec ce qu’on t’a donné. C’est plus riche, plus joueur, donc plus intéressant !


CNB : Dans “Tu me nargues”, il y a une forme de cruauté douce. Est-ce que l’amour qui t’inspire le plus, c’est celui qui t’a un peu cassé ?


MIEL DE MONTAGNE : Je dirais pas “cassé”, non. Mais c’est vrai que ce sont rarement les histoires lisses qui laissent une trace profonde. On a besoin d’histoires douces, simples, sans embrouilles — vraiment. Faut pas glorifier le chaos, surtout aujourd’hui. Mais parfois, il y a des relations qui te bousculent, qui te sortent de toi, qui t’obligent à grandir. Elles te mettent face à toi-même. Ça fait mal, mais c’est formateur.

« Tu me nargues », c’était un peu ma manière d’évoquer certaines figures du passé — mes petites némésis sentimentales. Il y a quelque chose d’ironiquement doux, presque élégant, dans cette revanche. Une façon de reprendre le pouvoir sans violence.

Je suis encore en train d’explorer cette frontière floue entre la joie et la douleur, entre ce qu’on vit et ce qu’on en fait. J’ai pas envie de croire qu’il faut souffrir pour aimer. Mais je crois que même la douleur peut devenir matière, peut être transformée. Et malgré tout, je crois au vrai amour. Un amour qui ne blesse pas. Un amour qui construit.


CNB : Tu sembles très attaché à la lenteur, à l’idée de prendre le temps. Dans un monde qui valorise l’instantané, comment appréhendes-tu le fait d’être un artiste en décalage, voire à rebours ?


MIEL DE MONTAGNE : Je crois que c’est presque un acte de survie pour moi. Mon cerveau va trop vite, il m’envoie un flux constant d’idées, d’émotions, de stimuli… et mon corps n’arrive pas toujours à suivre. Donc je me force à ralentir. À respirer. C’est pas naturel pour moi, c’est un effort conscient. Si je prends pas le temps de filtrer, de digérer étape par étape, je m’épuise. Et c’est ça, ce déséquilibre, qui nourrit parfois mon anxiété mais qui me pousse aussi à créer.

J’ai appris à travailler mon impatience, à l’apprivoiser. Mes parents m’ont aidé là-dessus. À la campagne, on m’a enseigné à ne rien faire — pas comme une perte de temps, mais comme un espace à protéger. L’ennui, on le fuit, mais en réalité il te recentre, il t’apprend à habiter le silence, à écouter ce qu’il y a en dessous du bruit.

La vie est lente, et elle doit l’être. Il faut du temps pour sentir vraiment, pour comprendre ce qu’on vit. C’est un travail de réapprentissage, mais dès que tu y goûtes, tu te rends compte que c’est là que tu respires vraiment. Le temps long, c’est une chance. Une hygiène mentale.




© Pauline Mugnier


CNB : Tu fais une musique intime, conviviale et familiale. Qu’est-ce que t’as compris sur toi-même en bossant seul, sans public, sans écho ?


MIEL DE MONTAGNE : Travailler seul, au départ, c’était surtout une histoire de pudeur. J’osais pas encore me montrer, ni ma voix, ni mes textes. Je suis très réservé, et ça m’a longtemps freiné. Et puis petit à petit, j’ai appris à me faire confiance.

Sur « Ouin Ouin », par exemple, j’ai bossé avec un ami québécois pour aller plus vite, pour tenir les délais. Et c’était une vraie ouverture. Mais à la base, je suis influencé par des artistes très DIY, comme Mac DeMarco, King Krule ou Connan Mockasin — des mecs qui créent tout eux-mêmes, dans leur coin. Ça m’a donné le modèle : celui de pouvoir tout faire, seul, même si on n’est jamais vraiment seul quand on est nourri par les autres.

Travailler seul, ça t’autorise à tester, à te planter, à creuser loin sans censure. Mais au fond, j’avance toujours grâce aux autres. Sans eux, je fais rien. J’ai besoin de ce lien, de cette résonance.

Mais dans le laboratoire, dans le moment de création pure, j’aime cette solitude. Elle est fertile. Elle m’aide à aller là où j’irais pas si quelqu’un me regardait.


Tu dis que l’autodérision est une nécessité. Mais est-ce qu’il y a un endroit, dans ton écriture, où tu la refuses totalement ? Un seuil au-delà duquel tu ne ris plus ?


MIEL DE MONTAGNE : Oui. Dès qu’on touche à l’injustice, je ris plus. Là, ça bloque. Ça me met hors de moi. Sinon, l’humour est partout dans ma vie. Pas l’humour forcé, pas des blagues à tout prix, mais une légèreté de regard. Un goût du décalage.

C’est une façon d’habiter le monde autrement, de ne pas trop s’attacher aux apparences, de capter le petit truc qui rend une situation absurde ou étrange. Ça me sauve. Et ça permet de rester humble aussi. Si je commence à me prendre trop au sérieux, c’est foutu. Je serais devenu quelqu’un que j’ai pas envie d’être.

Mais il faut aussi faire attention. L’humour ne doit pas blesser. Il faut toujours avoir conscience du contexte. L’humour, c’est un jeu subtil avec la réalité, un jeu de miroir. Quand il est bien dosé, il rassemble.


CNB : Ton public t’aime parce que tu sembles sincère. Mais être sincère en public, ça a un prix. T’as déjà regretté de t’être montré vulnérable dans une chanson ? 


MIEL DE MONTAGNE : Je n’ai pas vraiment l’impression de m’être montré si vulnérable que ça pour le moment. Je me découvre encore sur ce terrain-là. J’apprends à assumer ma vulnérabilité, à en faire une alliée. Elle me rend plus libre.

Mais c’est vrai qu’être sincère en public, ça coûte. Tu te dois d’être à la hauteur de cette image que les gens projettent sur toi. Ça demande une énergie particulière. Et parfois, j’ai peur que ça me pousse vers une forme de superficialité, comme une sincérité de façade, de circonstance.

Mais j’essaie d’aller au-delà. De rester vrai, même dans les moments un peu creux, même quand c’est moins spectaculaire. L’important, c’est de garder cette envie de creuser, de parler pour de vrai, même si ça prend plus de temps que le « small talk ». Et puis faut accepter que tout ne soit pas profond tout le temps. L’important, c’est d’être là, et d’être juste.


CNB : Tu dis avoir été un ado mal dans sa peau. Est-ce que t’as l’impression aujourd’hui de parler à cet ado à travers ta musique ? Et qu’est-ce que tu voudrais lui dire ? 


MIEL DE MONTAGNE : Pas vraiment. J’ai l’impression qu’il est toujours là, quelque part, mais je vais pas forcément le chercher. Je coche plutôt des cases qu’il aurait rêvé de cocher, et ça me suffit.

Je suis nostalgique, oui. J’aime regarder le chemin parcouru. Mais je me replonge pas dans cette période-là. À l’époque, j’étais paumé, j’avais pas compris comment je fonctionnais. Et puis j’étais attiré par des gens très marginaux, très sombres parfois — ça me fascinait. J’allais chercher ces relations un peu border, parce que je trouvais ça plus vivant, plus intense. Donc forcément ça impliquait pas mal de toxicité en plus d’un mal-être assez prégnant.

Aujourd’hui, je fais la musique que j’aime, la musique du présent. Je suis plus aligné. Et je crois que c’est ça que je dirais à l’ado que j’étais : tu verras, ça finit par s’éclaircir. Tu comprendras.



© Pauline Mugnier


Comment t’appréhendes ton passage à l’Olympia ce 16 mai d’ailleurs ? Tu te sentiras plus que jamais au présent non ? 


MIEL DE MONTAGNE : C’est clair ! Je suis surexcité. J’ai tellement hâte de monter sur scène, de ressentir cette énergie collective, de faire des câlins à tout le monde — mon équipe, les gens qui me soutiennent depuis le début…

C’est un moment fort. On retrouve les mêmes têtes, les visages familiers, les anciens, ceux avec qui on a tout construit. C’est une forme de célébration. Et je veux que ce soit une fête, un vrai moment de partage. Le genre de moment où t’es totalement là. Vivant.


Tu vis dans un monde d’émotions, mais avec une lucidité crue. Est-ce que parfois tu regrettes de trop sentir ? Ou est-ce que tu vois ta sensibilité comme une force que t’as appris à dompter ?


MIEL DE MONTAGNE : Avant, c’était compliqué. Mon hypersensibilité me débordait. J’arrivais pas à la gérer. J’avais du mal à comprendre pourquoi je ressentais tout si fort, pourquoi les autres semblaient si détachés là où moi je vibrais ou je saignais.

Et puis, avec le temps — peut-être l’effet des 30 ans — j’ai appris à faire avec. À ne plus lutter contre. À me dire : c’est comme ça que je suis, et c’est pas une faiblesse.

Aujourd’hui, je ressens toujours aussi fort, mais je maîtrise mieux. Je suis plus aligné avec moi-même. Et ça change tout. Je peux profiter de mes émotions au lieu de les subir. Pleurer, rire, aimer fort, sans peur.

J’ai configuré ma vie pour ça : pour être heureux tous les jours, même quand c’est dur. C’est un sacré travail, mais c’est un luxe aussi. Faut faire de l’hypersensibilité une force, elle peut vraiment être vécue ainsi !


Enfin, je te pose la question que je pose à tous les musiciens et artistes que je rencontre : pourquoi penses-tu que tu fais de la musique ?


MIEL DE MONTAGNE : Parce que sinon, franchement, je saurais pas quoi faire ici. La musique, c’est pas juste un métier. C’est mon langage. Ma façon de jouer, de respirer, de trouver du sens.

Peut-être que j’aurais fait autre chose de créatif — du dessin, de la mise en scène, un truc où on peut encore jouer. Mais la musique, elle s’est imposée.

J’ai jamais vraiment envisagé autre chose, et rien que ça, c’est énorme. C’est un privilège de pas se poser la question. Et encore plus grand, celui de pouvoir la partager.

Mon rêve, c’est de monter les étages du kiff entouré de ma dream team. Et là, j’ai l’impression qu’on y est. Je remercie la vie tous les jours pour ça, et je suis loin d’en avoir terminé !


Pour retrouver Miel de Montagne à L'Olympia ce 16 mai prochain, billetterie juste ici ! :

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