top of page

Rencontre avec Justin Chiron de Reiner Upcycling : un nouvel horizon pour la mode

  • Hugo Lafont
  • 16 déc. 2024
  • 17 min de lecture

Au cœur de l’un des endroits les plus prisés par les français et les touristes étrangers, le long de l’avenue des Champs Elysées, nous avons rencontré Justin, l’un des cofondateurs de Reiner, une marketplace qui réinvente la mode à travers l’upcycling. A l’heure où la fast fashion domine largement le monde de la mode, Justin et son équipe cherchent à déconstruire les codes établis pour reconstruire un avenir plus durable. Avec Reiner, chaque vêtement a une seconde vie, et chaque choix devient un acte de résistance créatif. Une belle façon de montrer que la mode peut être à la fois tendance et respectueuse de la planète.


© Pauline Mugnier




Justin, on a l’habitude dans CNB de commencer nos interviews par une question : quelle est ton humeur du moment ?


Justin Chiron Ultra bonnes vibes ! On prépare la fin d’année en ce moment, une période qui est toujours charnière pour le commerce, notamment dans le textile. On a préparé entre autres la campagne shooting promotionnelle, on a eu le pop up de l’influenceuse Rubi Pigeon qui est venue vendre sa collection en exclusivité chez nous, et je prépare aussi tranquillement mon voyage d’un mois en Colombie en janvier. J’avais un peu besoin d’un break, ça fait trois ans qu’on est à fond sur le projet, il était temps que je souffle un peu pour reprendre mes esprits… Mais je peux affirmer que tout va pour le mieux !


Justin, tu es donc l’un des cofondateurs de Reiner Upcycling. Peux-tu nous raconter la genèse de Reiner ? Comment ce projet est-il né et quelles étaient vos ambitions au moment de son lancement ?


Alors, je suis en effet le cofondateur de Reiner avec Benjamin Farcy ! On était amis avant d’être associés. On s’est rencontrés il y a six ans à peu près. Il avait à l’époque une marque de vêtements à but non lucratif, un projet d’essai pour comprendre comment ça se passait dans le textile et dans la distribution. C’est un ami en commun qui nous a présentés, moi j’étais dans la photo à ce moment-là, et on nous a mis en relation pour que je shoote la collection de Ben. On a tout de suite eu un coup de coeur amical, il a une vision artistique qui m’a immédiatement parlé et intéressé. Il m’a parlé de l’aspect créatif de la mode, de la notion de timing… C’est à partir du confinement que tout a vraiment démarré, on s’appelait tous les jours et il avait un peu un rôle de mentor au moment où je lançais ma carrière en photo. C’est à la toute fin du confinement qu’il me parle d’un projet qui ressemble à une marketplace de vêtements upcyclés. Tout le monde avait commencé à s’y mettre, à l’upcyling, durant le confinement. Il y voyait un avenir, il travaillait à l’époque chez Yves Saint-Laurent et il est maintenant chez Jacquemus. Il avait l'idée de créer une plateforme mettant en relation acheteurs et vendeurs, car il s'était rendu compte que la création d'une marque n'était pas faite pour lui et qu'il préférait se concentrer sur la distribution. Ben est un créatif, il a toujours plein d’idées totalement folles, et dans ce lot d’idées surgissent souvent une ou deux qui valent le coup d’être réalisées. Je n'ai pas trop douté sur le fait de me lancer dans ce projet, le timing n’était certes pas idéal, mais j’ai saisi l’opportunité de créer quelque chose qui me plaisait vraiment. C’est comme ça qu’est né Reiner, avec cette réflexion de savoir comment connecter les artistes avec l’aspect plus « business » du commerce, les grands magasins, la distribution en ligne, pour pouvoir les aider et les mettre en valeur. On avait dans l’idée de concevoir quelque chose de novateur qui soit fait à partir d’upcycling, c’était hyper important pour nous pour tous les enjeux écologiques que ça représente. Nous souhaitions toutefois nous éloigner de la vision très DIY (Do It Yourself) de l’upcycling afin de le professionnaliser et de l’intégrer pleinement au cadre entrepreneurial. L’objectif était aussi d’attirer de grandes marques, en mêlant leurs univers à une dimension très créative, tout en confrontant leur offre à une clientèle sensible à l’upcycling. 


© Pauline Mugnier


Qu’est-ce qui vous a personnellement poussé à vous investir dans l’upcycling ? Avez-vous eu une prise de conscience particulière concernant l’impact environnemental de la mode ?


Il y a bien un pivot, mais un pivot de plein de natures différentes. Ben a bossé dans les grandes maisons, comme Guerlain, Saint-Laurent, ou Jacquemus aujourd’hui, et il en est venu à faire à chaque fois le même constat : des gens très intelligents se cassent de ces boîtes parce que leur façon de manager est super old school, leur vision de la mode reste old school, et même si on ne critique aucunement cette façon de faire parce qu’on a plein de choses à en tirer, on a le sentiment que la génération qui arrive et à laquelle on parle, a du mal à s’associer à ces marques-là. Pour ces raisons, on s’est dit que les valeurs de Reiner devaient être en lien avec les valeurs de la génération qui arrive, donc il fallait que ça soit un projet parlant, et l’upcycling l’est puisqu’il parle à la fois d’écologie, mais aussi de créativité. Dans l’univers de la mode au sens large, le luxe représente une niche, car il incarne l’aspect le plus créatif du secteur. De la même manière, dans le marché de la mode responsable, on considère l’upcycling un peu comme une niche, pour les mêmes raisons que le luxe : son véritable savoir-faire créatif et sa recherche de matières exceptionnelles. Et donc tout l’enjeu repose sur le fait de faire comprendre aux gens que l’upcycling est le luxe de demain ! Le new luxury comme pas mal de marques l’appellent. Donc créer à partir de l’upcycling nous a toujours semblé être la plus logique des choses. 


Comment décririez-vous l’identité de Reiner dans l’univers de l’upcycling ?


Comme je disais, on s’est très vite détachés de l’upcycling DIY - même si on le respecte aussi parce qu’il permet de faire la promotion de l’upcycling et de dévoiler tout son processus de production. Nous, on s’est tout de suite concentrés sur la partie professionnelle, sur comment l’upcycling peut être conçu à plus grande échelle pour remplir une boutique, deux boutiques, et demain dix boutiques de vêtements upcyclés. Avec Reiner, on veut réussir à créer une sorte d’espace entre l’art de vivre et le lifestyle, où les clients peuvent venir s’acheter des pièces qui leur ressemblent : ultra créatives. On a conscience que c’est un coût d’acheter du Reiner, mais on a un peu cette idée que les gens viennent pour se procurer une pièce forte et phare qui rehaussera leur look. Si tu veux pimper ton look, tu viens chez Reiner acheter LA pièce qui fera la diff ! On veut servir à l’affirmation de nos clients dans la mode. Et c’est un peu un laboratoire pour nous, on tente plein de choses, aussi bien dans la sélection des marques que dans la distribution, et on ne ferme pas la porte potentiellement demain à faire des collabs avec d’autres milieux, comme celui de la musique. Tout ce qui a attrait à l’art quoiqu’il en soit, tout ce qui parle à cette génération Z que je respecte énormément.


Quels créateurs ou marques vous inspirent dans le domaine de la mode écoresponsable ?


Il évolue chaque année, mais j’ai tout le temps un top 10/top 20 des marques que je veux absolument faire rentrer chez Reiner ! Je guette en permanence les nouveautés, les marques qui perdurent, et j’ai toujours ce rêve de voir chez Reiner cohabiter des collections upcyclées de grandes marques et celles de jeunes designers qu’on représente aujourd’hui. C’est mon rêve ultime. Après, on a des marques que l'on suit depuis un moment, comme Marine Serre qui est pionnière dans ce milieu-là. C’est la première à avoir vraiment démocratisé l’upcycling dans les défilés fashion week, c’était incroyable de la faire rentrer sur la plateforme ! On a aussi des jeunes designers que j’ai toujours suivis, comme Maitrepierre ou Façon Jacmin, mais aussi Maisoncléo qui est un emblème de l’upcycling en France, et Patine qui travaille merveilleusement bien sur le denim (jean)… On reste très francophone, parce que c’est un sacré objectif de savoir bien distribuer en France ! C'est déjà un métier à part entière. Le faire ensuite à l’étranger sera une autre paire de manches, mais on a pour l’instant la volonté de confirmer la viabilité du projet sur le marché parisien pour constater après où est-ce qu’on pourrait l’emmener.


© Pauline Mugnier


Votre marketplace propose une variété de marques engagées dans l’upcycling. Comment sélectionnez-vous les partenaires et les produits présents sur Reiner ?


La curation est le pilier de Reiner. On a beaucoup douté avec Ben au début pour savoir s’il fallait proposer une large gamme de choix sur la plateforme, mais on craignait que ça devienne une sorte d’Amazon. De base, quand tu crées une marketplace, le business plan modèle repose sur le volume de ventes puisque tu prends des commissions sur les ventes, donc tu ne te poses pas trop la question de la sélection parce que tout peut vite devenir compliqué. Mais j’avais vraiment à coeur d’avoir une plateforme très sélective, mais quelque chose qui soit toutefois suffisamment ouvert pour ne pas faire peur. Ce qui m’effraie le plus, ce sont les plateformes sélectives très froides à la limite de l’art où tu ne te sens pas forcément à l’aise. Il fallait essayer de trouver le juste milieu. Mais la curation est une priorité chez Reiner, on essaie de la placer un peu partout. Plus que la sélection, elle intègre cette dimension presque intangible de lifestyle et d’art de vivre : ça inclut des odeurs, une musique, tout type d’art… On sélectionne notamment selon l’esthétique des produits, en réfléchissant aux pièces qui peuvent le plus plaire à notre communauté et à nos acheteurs. L’aspect responsable est essentiel aussi, je m’assure à chaque fois que les produits soient bien upcyclés. Pour nous, l'upcycling repose sur trois sources principales : d'abord, des matières issues de fins de rouleaux (invendus, déstockage, etc.), ensuite, des pièces défectueuses récupérées par nos partenaires (vêtements endommagés), et enfin, des articles de seconde main de luxe. Je m'assure que chaque collection utilise au moins une de ces trois sources de matières premières. Ce qui fait aussi l’univers Reiner et le côté très lifestyle, c’est le feeling que j’ai aussi avec les marques ! Je contacte la moindre d’entre elles, c’est moi qui me consacre à la distribution de leurs produits, donc si je sens que le feeling n'est pas bon ou que quelque chose cloche, je ne vais pas y aller. Même si j’adore la marque. Ma mère m’a toujours dit de suivre mon intuition, alors je m’évertue à la suivre. On ne sait pas encore comment on fera si un jour on se met à bosser avec bien plus de marques qu’aujourd’hui, mais on tient à garder ce truc très intime et humain qui caractérise Reiner. 


Comment mesurez-vous l’impact environnemental de vos produits ou de vos partenaires ?


On y travaille beaucoup, et on a déjà mis en place une charte éthique d’engagement qu’on fait signer à toutes les marques avec qui on travaille. Elles doivent, quand elles signent chez Reiner, s’assurer de la provenance des matières, de leur qualité, et que leur processus de création se déroule dans le meilleur cadre possible. Mais on ne peut pas vraiment à notre échelle calculer les économies d’eau ou d’électricité faites dans le processus de production étant donné qu’on joue le rôle d’intermédiaire. On travaille avec des marques qui sont jeunes et qui produisent toutes en France, donc on sait que l’empreinte carbone est minime puisque tout est produit à 100km de Paris, les matières sont françaises et proviennent de petits ateliers.


Ici, on est aux Galeries Lafayette des Champs-Elysées qui accueille Reiner en physique jusqu’au 6 janvier. Qu’est-ce que vous y proposez ?


Pour contextualiser comment on en est arrivés là, au début on voyait Reiner comme du 100% digital. On nous avait dit que c’était la fin du physique, que tout fermait… Mais rapidement, nous avons été contactés par Printemps pour proposer nos produits en magasin. On s'est vite rendu compte qu'on vendait dix fois plus en physique qu'en ligne, alors on a décidé d'exploiter cette opportunité. On a longuement cherché des partenariats, et Galeries Lafayette Champs-Elysées nous a contactés en même temps que Printemps Haussmann ! Cela nous a permis d’avoir une vitrine pour les marques, et une fois qu’elles signent chez nous, elles sont trop contentes de pouvoir proposer leurs pièces en physique. Le physique est ainsi devenu super important pour Reiner. C’est la seconde fois qu’on est aux Galeries. On va s’arrêter pour deux mois et on va certainement y retourner ensuite, c’est un contrat qui est voué à durer. Mais le challenge des grands magasins, c’est qu’ils parviennent à animer leurs boutiques avec des offres novatrices. Et en fait, on s’est tout de suite bien entendus avec eux, parce qu’on portait avec nous un gros groupe de marques qu’on pouvait souvent faire tourner, donc l’acheteur ne devait s’occuper de rien, il nous aide pour tout ce qui est back up, encaissement, logistique, etc. Ce qui comptait, c’était d’offrir une place et une certaine visibilité aux designers qu’on représente depuis le début. La sélection des pièces ici est un peu similaire à celle du Printemps Haussman : c’est une sélection à 360° où l'on est censés pouvoir s’acheter un look complet Reiner upcyclé de A à Z, des chaussures jusqu’à l’accessoire. Il y en a ici pour tous les goûts, de toutes les marques avec qui on travaille. Les clients et clientes viennent autant pour se procurer une pièce forte rehaussant leur look que pour s’habiller au quotidien, avec des pièces basiques, des t-shirt classiques, du denim bien coupé… Donc le but ici c’est de pouvoir s’habiller en full look Reiner jusqu’au 6 janvier ! Et plus tard sans aucun doute. 


© Pauline Mugnier


Vous avez d’ailleurs décrit l’upcycling comme le "luxe de la mode responsable". C’est vrai que ça a un certain coût… Quels sont les principaux obstacles pour rendre l’upcycling plus rentable et accessible, selon vous ?


Je me suis fait un peu taper sur les doigts quand j’avais dit luxe upcycling par un des designers !  Mais comme je l’ai expliqué plus tôt, pourquoi est-ce qu’on décrit quelque chose comme du luxe ? Car il y a certes la matière et le savoir-faire, mais il y a surtout, je crois, l’héritage et le poids de l’histoire. Nous on ne peut pas justifier ce poids de l’histoire vu qu’on est tout nouveaux. J’espère qu’on aura les épaules suffisamment solides pour tenir dans le temps et pouvoir demain se décrire comme luxe par le savoir-faire, car même si nos designers sont jeunes, ils sortent des plus grandes écoles du monde : “Parsons School” , “ENSAV La Cambre”, “L’IFM” (Institut Français de la Mode). Il y a donc un vrai savoir-faire chez Reiner. Et ce n’est pas parce que ce savoir faire n’est pas encore mis en lumière, ou que les designers sont très jeunes, qu’ils n’ont pas cette excellence au bout des doigts. Je reste persuadé que le luxe dans l’upcycling, c’est ce savoir-faire qui est ultra particulier parce qu’on parle de déconstruire un vêtement pour le reconstruire, c’est repenser le moyen de production. Comment le rendre viable ? C’est un travail de tous les instants, mais dans un premier temps, c’est aux médias d’en parler et de normaliser ce sujet. Dans un second temps, c’est aux usines de s’adapter à cette nouvelle production. Et après ça va être à nous, distributeurs et grands magasins, de pouvoir élargir notre offre upcycling et d’ainsi la normaliser, ce qui permettra au fur et à mesure des années de le rendre plus viable pour les marques. C’est un travail sur toute la chaîne. Nous on ne peut pas tout changer à notre échelle, mais on voit que c’est en train d’évoluer, que les marques qu’on rentre ont de plus en plus de stock. C’est l’ensemble de ces éléments, mit bout à bout, qui va favoriser le développement de l'upcycling et de la mode régénérée, tout en dissipant la crainte qui entoure l'achat responsable. En effet, on associe souvent la mode responsable à une image un peu bleu blanc rouge cocorico, mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. La mode responsable est désormais très créative, et c’est précisément ce message que nous défendons avec Reiner.


La fast fashion domine encore largement le marché, notamment pour l’attractivité du prix. Pensez-vous que l’upcycling pourra vraiment concurrencer ce modèle un jour ?


Non, et il ne faut pas chercher à le concurrencer. Zara et H&M ont trop d’avance, et se lancer dans une bataille contre eux, c’est perdu d’avance. En plus, on ne pourra pas habiller tout le monde, le luxe ne touche qu’une partie du marché. Penser que les usines de Zara pourraient produire du recyclé ou de l’upcyclé à grande échelle, avec des prix ultra bas, c’est totalement irréaliste. Ce n’est pas un combat entre eux et nous. Nous, on apporte une alternative, une nouvelle niche, une offre différente dans le monde de la mode. Petit à petit, les coûts de l'upcycling vont baisser grâce aux investissements dans les usines, ce qui permettra de réduire les prix à mesure que la production augmentera et que de plus en plus d’acheteurs s’y intéressent. Mais on ne descendra pas à des prix aussi bas que ceux de Zara et H&M, car leurs coûts sont artificiellement bas grâce à la production dans des pays comme le Bangladesh ou l'Indonésie, et on ne pourra jamais rivaliser avec ça, ni même essayer. Je crois vraiment en la génération Z. Si on leur explique pourquoi certains produits coûtent plus cher, ils sont prêts à payer plus, surtout si on leur montre la valeur à long terme. Si tu achètes un t-shirt bien fait à 50 ou 70€, tu le gardes 3 ou 4 ans, alors qu’avec un t-shirt H&M, tu vas en acheter 10 dans l’année. Au final, tu dépenses la même chose, c’est juste une question de perspective. L’important, c’est de faire comprendre à la nouvelle génération que les produits plus chers durent plus longtemps, et qu’il faut penser à long terme. Il ne s’agit donc pas de mener une guerre. On le voit bien avec certaines marques d'upcycling, qui ont axé leur communication sur "upcycling vs fast fashion", elles ont fini par disparaître. Et puis, il y a des marques comme Lacoste, qui ne le communiquent pas forcément, mais qui font déjà de l’upcycling avec des polos en tissus recyclés depuis longtemps. Ce n’est donc pas un concept nouveau, ça existe déjà.



© Reiner


L’upcycling nécessite une production artisanale, donc souvent lente. Pensez-vous que cela soit compatible avec les attentes modernes des consommateurs en termes de rapidité et de disponibilité ?


C’est un vrai défi. Les clients sont habitués à la rapidité d’Amazon, où tu reçois ton produit en quelques jours, alors que chez nous, il faut leur expliquer que ça prend plus de temps. On fait de notre mieux, mais c’est aussi une question d’éducation du consommateur, et c’est à nous de chercher à aller plus vite autant que possible. Aujourd’hui, pour compenser le manque de rapidité de la production artisanale, on propose plus de collections. On a moins de volume, mais ça permet de sortir de nouveaux styles et de nouvelles pièces régulièrement. Le client n’est jamais satisfait de ce qu’il a, il en veut toujours plus. Je ne parle pas de H&M ou Zara qui sortent des collections chaque semaine, mais dans le modèle traditionnel, il y a 2 à 4 collections par an, et nous on arrive à suivre plus ou moins ce rythme avec nos « drops » réguliers. Mais encore une fois, je pense qu’il ne faut pas chercher à suivre aveuglément les tendances ou les rythmes classiques de la mode. Il faut réussir à proposer une alternative qui plaît. Par exemple, on identifie les pièces phares qui fonctionnent et on les décline avec des matières différentes, des couleurs différentes ou des détails légèrement modifiés. Ça permet à la cliente de ne jamais être rassasiée, tout en restant fidèle à son style. Ce n’est pas notre objectif de pousser à acheter le même produit encore et encore. Au contraire, on lui explique que consommer moins et acheter un peu plus cher, c’est mieux à long terme. On forme nos vendeurs pour qu’ils ne poussent pas à la vente. Ils sont honnêtes, et c’est ce qui fonctionne bien. Ce qui est crucial, c’est de rétablir la confiance entre la marque et le consommateur, une confiance qui s’est perdue pour plein de raisons. L’objectif, c’est de recréer cette relation qu’on avait avant, quand nos grands-mères allaient en magasin, se faisaient servir et bénéficiaient d’un vrai service client. C’est là-dessus qu’on fait la différence : à notre échelle, on est une petite structure, et on peut se permettre de prendre le temps avec nos clients. On échange avec eux, on leur envoie des pièces avant leur sortie, on leur propose de réserver des articles s’ils sont intéressés. Cette notion d’échange est super importante pour nous, et elle nous aide à compenser le manque de rapidité que l’on rencontre parfois.


© Pauline Mugnier


En revanche, l'un des avantages de l'upcycling, c’est la rareté… Est-ce que c’est un argument qui attire ?


Oui, ça dépend vraiment de la cible. Le premier argument, c’est le made in France. Ici, on est dans une zone touristique, avec beaucoup de clients étrangers, et on ne s'en rend pas toujours compte, mais créer une marque en France, c’est déjà un gros avantage. Le label "made in France" devient un vrai atout, car il permet de vendre des produits à un prix plus élevé, en mettant en avant un savoir-faire authentique. Ensuite, il y a l’aspect créatif, le côté jeune designer qui séduit aussi. Et puis, il y a l’aspect rareté : des pièces peu nombreuses, parfois même uniques, que peu de gens possèdent. Ça plait énormément, et l’aspect responsable est lié à cela : si c’est rare, c’est aussi plus responsable. Les clientes les plus fidèles viennent surtout chercher cette rareté. C’est pour ça qu’elles me demandent souvent des photos des nouvelles pièces, histoire de les avoir en avant-première. Il faut aussi trouver le bon prix, car la rareté a forcément un coût.


En parlant d’argument, quelle est votre réponse aux marques qui utilisent le terme "upcycling" comme simple stratégie marketing (greenwashing) sans réel engagement ?


Avec Ben, on s’est toujours dit "Trop bien", parce que si eux en parlent, c’est que c’est un vrai sujet ! Surtout à leur échelle. Même s’ils le font juste pour faire bonne figure, le fait qu’ils en parlent et en fassent la promotion, ça reste positif. Et encore une fois, on fait confiance à la génération Z, ils ne sont pas dupes. S’ils voient que Nike fait de l’upcycling, ils savent bien qu’il y a quelque chose qui cloche, mais le simple fait que le mot "upcycling" soit mentionné, ça joue en notre faveur. Parce que le consommateur va se renseigner, et tôt ou tard, il va tomber sur Reiner. On n’a pas créé Reiner pour se battre contre ça, on l’a fait parce qu’on voulait vraiment créer quelque chose de sain pour la planète et pour le consommateur. Plus le mot "upcycling" est cité, mieux c’est pour nous !


Vous avez également lancé un magazine en ligne… Reiner contribue-t-il à éduquer les consommateurs ?


Le magazine, c’est en réalité le blog de Reiner. Au départ, c’était principalement axé sur le SEO (Search Engine Optimization). L’idée était de créer du contenu pour communiquer sur les marques qu’on intégrait à la plateforme. Aujourd’hui, c’est devenu un véritable support pour partager l'univers de Reiner, ses valeurs, et les marques qu’on propose. On a ce rôle d’éducation, même si ce n’est pas notre mission principale, mais c’est important que nos clients sachent ce qu’ils achètent, à quelle marque ils achètent, et quelle est l’histoire derrière chaque marque. C’est super important pour nous. On n’est pas un média et on n’a pas l’intention de le devenir, mais le blog est un endroit où l’on partage toutes les nouveautés Reiner, les marques qu’on accueille, les actualités, et où on contribue, à notre échelle, au développement de l’upcycling et de son processus de production. Mais il n’y a rien de stratégique derrière ce magazine. Au début, on avait même lancé des podcasts — j’en ai fait une trentaine avec des designers — mais je n’arrivais pas à suivre le rythme, on s’est un peu perdus là-dedans. On avait aussi voulu jouer le rôle d’agence de presse en communiquant sur les marques, en réalisant des photos pour elles, et en les distribuant ensuite, mais ça nous a fatigués et on s’est un peu égarés. Finalement, on s’est rendu compte qu’il fallait se recentrer sur une étape clé de la chaîne de valeur : la distribution. Aujourd’hui, on est distributeurs, et même si on continue à communiquer sur les marques, c’est plus simple et plus clair, sans chercher à aller au-delà pour l’instant.


Et comment imaginez-vous l'évolution de Reiner dans les 5 à 10 prochaines années ?


On a cette idée déjà de confirmer et d’affirmer la présence de Reiner à Paris, si possible en étant dans les plus gros magasins. On vise un top 3 ou 4 des meilleurs : Bon Marché, Lafayette Haussmann, Printemps, BHV… On souhaite vraiment avoir une offre disponible partout, en plus de celle en ligne ça serait parfait. Reiner est encore très jeune, donc l’objectif le plus réaliste reste celui de stabiliser le projet un maximum, on ne doit pas aller trop vite. Mais s’il y a une possibilité de dupliquer le projet dans d’autres villes où il y a une vraie demande, évidemment qu’on foncera. New York, Londres, Dubaï… On a d’assez grosses clientèles un peu partout, plus que ce qu’on pensait d’ailleurs, alors on peut imaginer s’exporter dans d’autres capitales du monde ! Mais avec toujours cette ferme inttention de garder la dimension humaniste et intime de Reiner, garder cette patte intangible du projet dont je parlais. On cherche à s’enraciner durablement et exister à très long terme. L’idéal de Reiner, c’est de s’entourer de ce qui se fait de mieux dans la mode dans chaque partie du monde, que ce soit pour les grandes marques comme pour les jeunes designers. On aimerait évidemment développer un de ces quatre notre propre magasin, ou collaborer avec une marque à laquelle personne ne s’attend… Mais on se concentre pour le moment sur la stabilisation du projet, si on est encore vivants dans cinq ans, on pourra largement s’estimer heureux ! Je n'ai pas trop de doutes là-dessus, on avance petit à petit, mais je pense qu’on va dans la bonne direction. 


© Pauline Mugnier


Vous pouvez retrouver Reiner Upcycling aux Galeries Lafayette Champs Elysées (Espace Reiner, 1er étage) et au Printemps Haussmann, 64 Boulevard, Paris 9e



© Reiner

Comments


bottom of page