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Alexis Le Rossignol : et si l’humour donnait le sens de la vie ?

  • Photo du rédacteur: Victoire Boutron
    Victoire Boutron
  • 2 avr.
  • 13 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 avr.


© Pauline Mugnier
© Pauline Mugnier

À quelques heures de monter sur scène pour présenter son nouveau spectacle Le sens de la vie, Alexis Le Rossignol nous a donné rendez-vous en coulisses. D’humeur “tranquille”, porté par la douceur du dernier album de Manu Chao qu’il écoute en boucle ces jours-ci, l’humoriste originaire des Deux-Sèvres s’est confié sans détour. De son enfance rurale à son rapport à l’humour, en passant par ses doutes, ses prises de conscience ou son regard aiguisé sur la société, il nous parle de son parcours singulier, fait d’instinct, d’improvisation et de philosophie légère. Un échange à l’image de son spectacle : sincère, libre et résolument humain.



CNB : Vous avez grandi dans les Deux-Sèvres, en pleine campagne, avec le rêve, plus jeune, de devenir agriculteur. Qu’est-ce que cette enfance a laissé en vous ?


Alexis Le Rossignol : C’était une enfance géniale, passée au milieu des champs. Je n’habitais pas dans une ferme, mais dans une maison entourée de champs, à tel point que le lotissement où l’on vivait s’appelait "Les Champs Carrés". Notre maison était la première de ce quartier. Il y avait des vaches juste derrière, et une mare. L’hiver, la mare gelait et on jouait au foot dessus. On construisait des cabanes dans les arbres, et on a même réussi à cramer un chêne une fois en essayant d’en construire une ! C’était une enfance pleine d’insouciance, avec très peu de conscience de ce qu’était la vie en ville. Quand je suis parti étudier à Angers, à 18 ans, ça a été un vrai choc. Mais j’ai adoré cette enfance.


CNB : Votre humour semble profondément imprégné de ruralité, que ce soit dans vos spectacles ou à travers des initiatives comme le Breizh Comedy Tour, où vous allez jouer dans des fermes ou des tiers-lieux, souvent loin des grandes scènes. Est-ce que, quelque part, c’est aussi une manière de redonner une place à ces territoires dans le paysage culturel, une forme de “justice culturelle” qui vise à offrir le même accès à la scène, que l’on soit en ville ou au fond d’un bourg breton ?


Alexis Le Rossignol : Pas tant que ça, mais ça l’est devenu. Au début, c’était assez égoïste. C’était une manière de continuer à faire ce que j’aime, dans un endroit qui me plaît davantage que la ville. Tout ça est né après le confinement, à un moment où les gens avaient besoin de nature, d’espace, de quitter les villes… Le confinement, c’était un peu la revanche de la campagne. Ça m’a tout de suite parlé. Et puis, en le faisant, on s’est rendu compte que ça allait plus loin, qu’il y avait une vraie dimension politique. Les gens nous racontaient qu’ils vivaient dans des territoires où il ne se passe plus rien : plus de cinéma, plus d’école, plus de collège, plus de poste… Nous, on venait dans ces endroits-là, on jouait, et le lendemain on repartait. J’avais un peu l’impression de recréer une troupe de cirque, loin des circuits habituels de la culture. Ça m’a touché. On faisait des rencontres que je n’aurais jamais imaginé faire.


CNB : Vous n’êtes pas arrivé tout de suite à l’humour. Il y a d’abord eu une école de commerce, puis ce grand saut vers le Mexique, où vous avez vécu pendant 7 ans. Là-bas, vous avez enchaîné les expériences : vente de gâteaux en vélo triporteur, crêpes dans un garage, vente d’imprimantes… Vous parlez d’une vie à l’instinct, “sans plans ni calculs”. Qu’est-ce que vous cherchiez dans cette part d’imprévu ?


Alexis Le Rossignol : Le matin en me levant, je cherchais l’ivresse de la page blanche. Ne pas savoir ce que j’allais faire. Parce qu’en réalité, quand tu fais des études jusqu’à 18 ans, tu es dans un cursus. Ensuite, tu fais une école ou une fac, et là encore, tu suis un chemin tout tracé. Tu te retrouves à 23 ans sans jamais avoir connu ce qu’est, à mon sens, l’essence même de la vie : te lever le matin sans savoir ce que tu vas faire, improviser. J’avais peur d’entrer dans ce système et de ne jamais relever la tête. On est les descendants des chasseurs-cueilleurs, et qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? Des tableaux Excel. Ça peut convenir à certains, on peut y trouver son compte, mais je ne suis pas sûr qu’on soit fondamentalement faits pour ça. C’est allé très vite : en quelques milliers d’années, on est passés de la survie à la vie qu’on mène aujourd’hui, décuplée par l’intelligence artificielle. À l’époque, je n’en avais pas forcément conscience, mais je crois qu’au fond, j’avais envie d’une vie un peu plus risquée, un peu plus nomade.


CNB : Et puis un soir au Mexique, un simple changement de bar devient une révélation… Que s’est-il passé ?


Alexis Le Rossignol : Là-bas, j’avais ouvert une petite crêperie française et j’avais mes habitudes dans un bar. Après le boulot, j’allais y boire une bière ou deux, tout seul, pour décompresser — et aussi parce que je me rendais compte que ce que je faisais ne me passionnait pas. Je pensais avoir trouvé un truc qui me plairait, et finalement, je me suis très vite lassé. Je n’étais pas au mieux de ma forme, moralement. Un soir, dans ce bar, j’ai vu des types faire du stand-up. Et ça a été une révélation. Je me suis dit : voilà, c’est ça que je veux faire de ma vie ! Ce qui m’a frappé, c’est qu’ils avaient juste un carnet, un crayon… Leur outil de travail, c’était ça. Moi, à chaque fois que j’achetais une crêpière ou que je faisais des travaux dans la cuisine, j’avais l’impression de m’attacher un boulet à la cheville, d’autant plus que je savais que je n’allais pas rester là-bas toute ma vie. Eux, ils avaient une existence légère, ils faisaient des tournées… Mon arrivée dans le stand-up, finalement, c’est aussi le fruit d’un calcul : je me suis demandé ce qui me rendrait heureux. Un métier où il y a peu d’immobilisation matérielle ? BAM, le stand-up cochait toutes les cases.


CNB : Un mois plus tard, vous faites votre premier sketch… dans une pizzeria. Quels souvenirs gardez-vous de ce moment ? 


Alexis Le Rossignol : C’était un peu pitoyable… C’était une première, sans doute trop récitée. Les gens mangeaient, la moitié me tournait le dos parce que les gens ne sont pas tous assis du même côté, il n’y a que dans La Cène avec Jésus que ça arrive ! Ceux qui me tournaient le dos ne m’écoutaient pas, et les autres, j’avais l’impression de les emmerder. Ça aurait pu être une soirée où je me serais dit que ce n’était pas fait pour moi, que ça n’allait jamais marcher. Mais au contraire, ça m’a motivé. Je voulais recommencer.


CNB : Vous écriviez déjà des sketchs à l’époque ?


Alexis Le Rossignol : Ma mère m’a dit que j’avais écrit des trucs quand j’étais plus jeune. J’avais aussi fait deux sketchs pour le Téléthon avec un copain, quand j’avais 13 ans. Mais entre 13 et 28 ans, je n’ai plus rien fait de tout ça. Je n’avais aucune velléité d’écriture.


CNB : Ce besoin de faire rire, d’où est-ce qu’il vient ? 


Alexis Le Rossignol : Ce n’est pas tant de faire rire mais plutôt de raconter des histoires et d’exister. Il y a sans doute une part d’égo dans tout ça... 


© Pauline Mugnier


Vous avez commencé à faire rire… en espagnol ! Comment on fait pour manier l’humour dans une langue qui n’est pas la sienne ?


Alexis Le Rossignol : C’est la force de la révélation : tu ne vois pas les limites ! Je ne voyais pas la difficulté de faire rire dans une autre langue. Pour moi, je voulais le faire, peu importe les conditions ou le pays où je me trouvais. J’avais un très bon niveau d’espagnol, j’étais bilingue, et puis ce sont des cultures proches. On est des pays latins, catholiques, avec un noyau familial commun : le père, la mère et l’enfant… Ça aurait sans doute été plus compliqué si j’avais tenté ça dans une culture complètement différente de la mienne, en Inde, au Japon ou dans un pays du Maghreb, par exemple.


CNB : Vous rentrez en France en 2016 et aujourd’hui, vous êtes sur les plus grandes scènes parisiennes, et pourtant, vous dites ne pas consommer de stand-up. Pourquoi ce détachement ?


Alexis Le Rossignol : Je ne suis pas un passionné de stand-up ! C’est un métier qui correspondait à ce dont j’avais besoin à ce moment-là, à un besoin presque primaire : me nourrir, avoir de l’argent pour ça, et travailler pour en gagner — tout en faisant quelque chose de plaisant, qui me permette de voyager. L’humour, la scène, répondaient à tout ça. Mais je ne suis pas fasciné par l’humour en soi.


CNB : Votre style à vous, c’est un savant mélange de stand-up et de storytelling. Pas de micro-pied, pas de metteur en scène… Qu’est-ce que ça dit de votre manière de créer ?


Alexis Le Rossignol : Sur le premier spectacle, j’avais un micro-pied. Là, je me sens plus à l’aise sans, il ne faut pas chercher plus loin. Peut-être que j’y reviendrai un jour. Pour ce qui est du metteur en scène, j’ai bossé avec un copain, mais ça ne va pas plus loin. Au fond, ce que ça dit de moi, c’est que je n’aime pas qu’on me dise quoi faire. J’aime bien qu’on me foute la paix. Je n’aime pas avoir de chef, même si je suis conciliant. Je travaille avec un régisseur, je fais en sorte que tout soit propre, que ça roule, je réponds à ses besoins. Je me plie à ce qu’il faut faire pour qu’un spectacle existe, mais ça m’emmerde quand un mec vient me dire : “Fais deux pas par ici, trois pas par là.” Mes textes, c’est pareil : je ne les ai jamais vraiment écrits. J’ai des feuilles, des notes, et j’y vais à la one again ! Tu ne verras jamais deux fois le même spectacle. C’est toujours différent.


CNB : Vous aimez rire de tout, mais surtout du banal, du quotidien, de ce qui semble futile. Qu’est-ce qui vous fascine là-dedans ?


Alexis Le Rossignol : L’humour est partout, et il y a quelque chose d’assez chouette à aller le chercher dans les moindres recoins. Dit comme ça, ça fait un peu chanson de Cabrel, mais c’est vrai ! Quand tu enclenches cette mécanique de l’esprit qui te permet de voir de l’humour, ta vie devient plus légère, plus amusante, je trouve. Quand je me balade, il y a toujours des choses qui me font rire : dans les attitudes, dans les constructions, dans les petits détails du quotidien. Tous les humoristes ont ça en commun : cette attention particulière aux choses. C’est une vraie gymnastique de l’esprit.


CNB : Vous avez un regard très clair sur les mutations de l’humour, notamment avec l’impact des réseaux sociaux. Dans l’un de vos textes, intitulé “Pourquoi tu ne fais pas plus d’humour engagé ?”, vous évoquez notamment la nécessité de “faire de l’actu. Ça fait des vues sur les réseaux sociaux”... Et vous avouez même avoir été l’un des premiers à surfer sur ça il y a quelques années… Qu’est-ce qui a changé ?  


Alexis Le Rossignol : Aujourd’hui, on est tellement nombreux dans l’humour qu’on est obligés de passer par les réseaux sociaux et de produire du contenu en permanence. Les humoristes sont donc constamment à l’affût de la moindre chose qui pourrait faire rire. Et puis, les gens regardent énormément de vidéos d’humoristes, certains s’informent même à travers ça. Le problème, c’est que les humoristes ne retiennent souvent qu’une partie de l’information, la plus drôle. Forcément, ça déforme la réalité. Si tu t’informes uniquement à travers eux, tu passes à côté d’une partie du sujet. Quand on fait des blagues, personne ne vient vérifier si ce qu’on dit est vrai, donc on peut se permettre d’être approximatif. Mais cette imprécision contribue à la désinformation. Le traitement de l’info, aujourd’hui, c’est compliqué. Même pour les journalistes, il est devenu difficile de faire un vrai travail de fond. Et les médias dits « sérieux » ne sont pas épargnés : ils balancent parfois tout et n’importe quoi pour faire du buzz. L’histoire de Xavier Dupont de Ligonnès en est la preuve. Tous les médias ont annoncé qu’on l’avait retrouvé, alors que ce n’était pas le cas.


CNB : Vous évoquez également la manière dont les réseaux sociaux façonnent les nouveaux formats de l’humour puisque vous écrivez : “Une seule vanne suffit désormais à justifier une vidéo. Dans cette nouvelle donne de l’humour qui tend à un raccourcissement des formats pour arriver à presque rien, à un seul rire, je me demande si nous ne sommes pas en train de niveler le niveau vers le bas”... Que voulez-vous dire ? 


Alexis Le Rossignol : Avec le raccourcissement des formats, les humoristes — moi y compris — ont tendance à balancer des vidéos de 15 secondes avec une seule vanne. Mais je pense qu’on doit aller plus loin. On ne peut pas résumer l’humour à une seule blague sur un sujet, il faut creuser un peu plus. Ce phénomène s’accompagne d’une consommation frénétique d’infos, d’humour, d’images, de sons, de clashs, de buzz… Là, on dépasse même le cadre de l’humour. C’est quelque chose qui m’inquiète, parce que je me demande comment des gamins, aujourd’hui, peuvent réussir à se passionner pour l’histoire de France quand, au quotidien, ils sont abreuvés de conneries sur TikTok. Comment garder l’attention sur des choses fondamentales, comme l’histoire du monde, la géographie… ? Ce sont des sujets passionnants, et pourtant l’attention est tellement fragmentée qu’on ne retient plus rien. Après, il faut être honnête : on apprend aussi plein de choses sur les réseaux sociaux. Il y a du bon. On n’est jamais à l’abri d’un paradoxe, parce que moi aussi, j’utilise beaucoup ces réseaux. Tout ce qui m’interroge, j’en fais aussi partie. En m’interrogeant sur tous ces changements, j’essaye de ne pas perdre le fil avec moi-même et le fond d’une pensée un peu plus construite.


CNB : "Les réseaux font les carrières", écrivez-vous aussi. Cette phrase dit beaucoup sur la place qu’ont pris les réseaux dans le parcours des artistes. C’est révélateur de quoi, selon vous ?


Alexis Le Rossignol : Du fait qu’on va accorder du crédit sur ce qu’on voit sur les réseaux. Avant, pour qu’une vérité soit considérée comme telle, il fallait qu’elle soit démontrée. Aujourd'hui, une vérité est un truc partagé par plein de gens…. 


CNB : Ce basculement vers les réseaux, ça change aussi la manière dont on construit une relation avec le public, non ? 


Alexis Le Rossignol : Heureusement, il reste encore le bouche-à-oreille ! Je me défends aussi pas mal sur les réseaux, je publie beaucoup. Après, c’est vrai que j’aime bien la connerie. J’aime ne pas m’empêcher de rire d’un truc, j’aime l’humour à la con… Je ne prétends pas être irréprochable, loin de là. D’ailleurs, irréprochable selon quel prisme ? Je ne me mets pas de barrières : si quelque chose me fait marrer, je le fais. Quelqu’un d’extérieur peut trouver ça un peu débile, mais j’aime bien l’idée qu’on puisse être transversal, qu’on ne soit pas enfermé dans un style. On n’a qu’une vie, et si un truc me fait rire, je le fais, je me fiche de ce que les gens pensent. Mais j’essaie quand même de garder les pieds sur terre, de comprendre ce que j’observe. C’est compliqué à dire, à expliquer, sans passer pour un réac. Je m’interroge plus que je ne juge. On est le fruit de notre époque, de notre société, du progrès technologique. Et quand tu regardes bien, les patrons des GAFAM n’autorisent même pas leurs enfants à avoir un téléphone avant un certain âge… Ça veut tout dire. Ils savent que c’est un truc machiavélique. L’être humain a une propension à tomber là-dedans, parce que c’est facile. C’est du divertissement à portée de main, donc forcément, ça fonctionne. Il faut juste essayer de garder les yeux ouverts là-dessus.


© Pauline Mugnier


CNB : Votre nouveau spectacle s’intitule "Le sens de la vie", en hommage à votre oncle… et à l’épitaphe de Jean Valjean. Pouvez-vous nous en parler ?


Alexis Le Rossignol : Mon oncle a été une sorte de guide pour moi. On avait souvent des discussions profondes sur le monde, sur ce qui s’y passait. Il était en fauteuil roulant à cause d’une maladie, et avant de mourir, il m’a dit des choses importantes, notamment sur ce que je devais transmettre sur scène, sur la responsabilité qu’on a quand on a une voix qui porte. Pendant un temps, ça m’a plongé dans l’introspection. Puis j’ai pris du recul, parce que je me suis rendu compte que j’allais trop loin et qu’il fallait faire la part des choses. Parler de cette disparition alourdissait le sujet, et porter ça pendant des centaines de spectacles, ça allait finir par me plomber moi-même. J’ai essayé de mettre ça de côté, de revenir à quelque chose de plus léger. Quand tu parles d’un deuil sur scène, l’ambiance change, ça ne rit plus. Ce n’était pas l’idée que je me faisais de ce spectacle. J’aime la légèreté. Aujourd’hui, il n’y a plus de traces de ça dans mon spectacle.

En revanche, l’épitaphe de Jean Valjean, ce sont les derniers mots qu’il m’a dits. J’ai été la dernière personne à le voir avant qu’il ne meure. C’est comme si ces mots collaient à lui : « Quoique le sort fût pour lui bien étrange, il vivait. Il mourut quand il n'eut plus son ange ; la chose simplement d'elle-même arriva, comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va. » J’ai trouvé ça magnifique. Il est mort le lendemain. Je trouve incroyable qu’il ait trouvé l’épitaphe de sa propre vie dans la littérature, juste avant de mourir, et qu’il me l’ait transmise.


CNB : Vous avez lu plusieurs auteurs pendant l’écriture du spectacle. En quoi la philosophie nourrit-elle votre humour ?


Alexis Le Rossignol : Je l’aborde toujours avec du second degré, parce que je ne prétends rien. Dans le spectacle, je me fais presque passer pour un mec qui n’y comprend rien à la philosophie. En réalité, j’ai surtout écouté beaucoup de podcasts de philo en bricolant. J’ai toujours des livres de pensées avec moi, mais je n’ai pas envie de paraître lourd avec ça. Dès que tu parles de philosophie, ça peut vite sonner « sachant », et je n’ai pas envie de donner cette image-là.


CNB : Pour autant, vous citez souvent Montaigne, notamment cette idée de “vitesse intérieure”… À quelle vitesse vous fonctionnez ?


Alexis Le Rossignol : Je me rends compte que je suis quelqu’un d’assez lent… Montaigne disait qu’il fallait savoir à quel camp on appartient, parce que la société te pousse toujours à aller plus vite, et on n’est pas tous faits pour suivre ce rythme effréné. J’en parle parce que je crois qu’aujourd’hui, beaucoup de gens traversent des périodes compliquées : des burn-out, des remises en question… On n’est pas tous faits pour vivre à cent à l’heure. Après le spectacle, il y a pas mal de gens qui m’écrivent pour me dire qu’ils trouvent leur fils lent, qu’ils le poussent, qu’ils voudraient qu’il aille plus vite, alors qu’en réalité, ils ne devraient peut-être pas. Je leur réponds que leur enfant n’est peut-être pas fait pour correspondre à ce qu’ils projettent. J’essaie d’ouvrir cette réflexion-là, de faire en sorte que les gens se demandent s’ils n’en demandent pas trop, parfois. Parce que là où on en demande trop, on finit par étouffer l’espace où l’autre pourrait justement s’épanouir.


CNB : Vous semblez toujours en mouvement, jamais vraiment figé. Même les titres de vos projets — Les Voies parallèles, Les Fuyants, Le Sens de la vie — évoquent tous une forme de trajectoire, de déplacement. Quel chemin personnel est-ce que vous êtes en train de tracer à travers tout ça ?


Alexis Le Rossignol : Ce qui me fascine dans la vie, c’est qu’on est là, mais que tout est toujours le fruit d’un concours de circonstances. Les aléas de la vie sont mille fois plus puissants que les études que tu vas faire. On n’est rien face aux rencontres qu’on peut faire au cours d’une existence. Si j’avais un enfant, je serais hyper permissif. Je lui dirais de vivre sa vie, de découvrir par lui-même. Une fois que tu as les bonnes valeurs — le respect, l’écoute, la solidarité —, tu n’es pas une mauvaise personne. Alors fais ce que tu veux de ta vie. Va, découvre, vis !


CNB : En quoi l’humour donne-t-il un sens à votre vie ?


Alexis Le Rossignol : Pouvoir raconter ce que je veux, au quotidien, sur scène, c’est une liberté énorme ! Chaque jour, même si ce n’est pas toujours simple, je me dis que c’est toujours mieux que tout ce que j’aurais pu faire ailleurs. Je n’aurais pas pu trouver mieux, et je ne me serais jamais autant épanoui dans un autre métier. C’est impossible.



© Pauline Mugnier

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