IL EST LIBRE MAX
- Victoire Boutron
- 25 nov. 2024
- 20 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.
Paris, vendredi 23 novembre. Le voici, zigzagant entre les flocons. “Un coup de pédale de plus et j’avais les oreilles qui tombaient !” Lui, c’est Maxime Biaggi, youtuber et streamer. Toujours le mot pour rire ! Sitôt descendu de son vélo, il se prête volontiers à quelques selfies devant l’un de ses QG du 10ème arrondissement. On est une semaine jour pour jour après la dernière de son late show, Zen, qui a réuni plus de 10 000 spectateurs à l’Accor Arena de Bercy. Vient le temps de la pause. Ce vendredi, c’est journée off. Avant de nous rejoindre, il nous confie avoir passé la matinée chez lui, à jouer aux jeux vidéos. “Ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps, je vis ma meilleure vie parce que je me pose enfin !” . Maxime Biaggi redécouvre avec bonheur une vie sans pression particulière et se décrit même “apaisé”, d’une humeur à écouter le titre Gomorra de SCH ou encore Rater une rupture pour les nuls d’Iliona. Prendre son temps, c’est ce que nous lui avons proposé, pour une longue interview inédite et intime. Un entretien rare qui lui a permis de revenir en profondeur sur son parcours et son ascension, mais aussi de se confier sur ses rêves, ses ambitions, avec toute la sincérité qui le caractérise.

© Pauline Mugnier
CNB : Tu es originaire de Bastia, une ville où tu as grandi. Qu’est-ce qu’elle a laissé en toi cette enfance en Corse ?
Maxime Biaggi : Elle a construit des racines incroyables dans le sens où j’ai des valeurs très proches de la famille. C’est encore très présent aujourd’hui : il n’y a pas un jour où je n’ai pas ma mère au téléphone, ma grand-mère, mon père… Je fais encore tout avec mon meilleur pote Elian (ndlr Elian Ventre, Youtuber et comédien), que j’ai rencontré là-bas, je rentre dès que je peux, toute ma famille était à Paris pour mon dernier spectacle à Bercy… Le socle familial est très présent, c’est ça le point le plus important.
Il y a une figure centrale dans cette enfance, c’est ta mère. Quel rôle a-t-elle joué dans ton parcours et que représente-t-elle pour toi ?
Elle a fait quelque chose d’assez fou : elle m’a laissé faire. Elle m’a offert la liberté. Quand je pars faire mes études à Paris, elle accepte qu’on trouve un logement, qu’on fasse un prêt étudiant… Elle accepte tout ça parce qu’elle sait que je veux être à Paris pour faire des castings. Elle m’a laissé cette chance-là, elle m’a fait confiance. Et puis, elle est très inspirante dans ses combats. Elle est très impliquée dans la vie associative et elle combat elle-même une maladie. Elle est assez revancharde et j’essaye de m’inspirer de ça dans ce que je fais.
On sait à quel point internet peut engendrer une fracture intergénérationnelle. Ça peut être difficile à appréhender pour des parents. Comment est-ce que ta mère perçoit ta vie aujourd’hui ?
Ce qu’on fait c’est digital et difficile à quantifier réellement. Ça reste des chiffres donc on n’arrive pas vraiment à réaliser à quoi ils correspondent. La difficulté de ma mère à appréhender internet a duré quelques années. Jusqu’au jour où je lui ai demandé de venir au Zénith pour la fin de la saison 2 de mon émission Zen. Elle a réagi très bizarrement ! Elle a trouvé ça incroyable que les gens se déplacent et qu’ils soient réels mais elle a mal vécu le côté liesse et les gens qui crient. Mon frère aussi d’ailleurs. Ils l’ont vécu comme si on m'arrachait à eux. Ma mère me disait “j’ai l’impression qu’on va m’arracher mon fils”. Elle devait sûrement romancer le milieu au départ… Finalement, elle a vu que les gens étaient gentils, que j’étais entouré des mêmes personnes qu’avant et maintenant, je crois qu’elle est vaccinée. A Bercy, elle faisait même la fête ! [rires]
En 2012, tu crées ta chaîne de gaming sous le pseudo Gotrak20, à une époque où les vidéos gaming n'étaient pas aussi populaires qu’aujourd’hui. Quelles étaient tes ambitions au moment de poster ta première vidéo sur YouTube ?
Faire comme les gens que je regardais, tout simplement. Je regardais plein de gens que je kiffais et qui sont là encore aujourd’hui. Je trouvais ça génial de partager une passion avec d’autres ! Par contre, en Corse, on est beaucoup sur le regard des autres. C’est l’insularité qui fait ça je pense : on a très peur de ce qu’on renvoie. Je faisais donc ça dans mon coin. Au collège et lycée, seulement un ou deux potes étaient au courant. Sinon, personne ne le savait. Par exemple, je chuchotais quand je m'enregistrais dans ma chambre pour pas que ma mère m’entende. J’avais un peu honte mais je kiffais tellement cet univers-là que, moi aussi, j’avais envie de faire ça. Je ne connaissais personne d’autres que les gens d’internet qui avaient cette même passion. Il y avait toujours des amis qui jouaient à Fifa mais des geek comme moi, pas beaucoup. J’ai donc créé ma chaîne pour ça. Évidemment, au départ, ça n’a pas marché... En même temps, on aurait dû s’en douter quand on regarde ces premières vidéos aujourd’hui ! [rires]
Vivre sur une île et s’exposer sur internet, qu’est-ce que ça implique ?
Il faut du courage ou de l'insouciance et on faisait partie de la deuxième catégorie ! En Corse, on est très vite analysés, scannés et rangés dans des cases. Heureusement, l’avènement d’internet a permis de voir au-delà de notre ville, ce qu’il n’y avait pas avant. Avant, on voyait uniquement ce qu’il se passait dans le collège et le lycée donc dès que tu es un peu à part, tu es très vite jugé. La Corse est un endroit magnifique mais quand tu es jeune, faut réussir à se construire sans trop t’éloigner de la meute sinon tu peux très vite te retrouver stigmatisé. Donc, quand j’ai lancé mon activité sur internet, je n’en parlais pas trop… Aujourd’hui, c’est en train de changer tout ça, même si ça reste encore un peu le cas. Je ne pense pas que c’est la Corse qui veut ça, c’est le cas aussi des petites villes. Quand tu habites dans ce genre d’endroit et que tu dis “je veux devenir Youtuber” bon, forcément, c’est pas évident…
En parallèle du gaming, tu faisais des sketchs sur Snapchat. En fait, tu t’es dirigé très tôt vers l’humour. Quelle arme est-ce que c’est pour toi l’humour ?
Je ne me suis jamais posé cette question, peut-être que ça cache quelque chose…! En fait, depuis tout petit, ma mère disait “Oh, il nous fait chier celui-ci, on va le mettre au théâtre !” [rires]. Donc j’ai fait du théâtre et j’ai kiffé ça ! De fil en aiguille, j’ai fait une pièce puis une autre… Puis, en grandissant, j’ai vu les gens partager leur quotidien sur Snapchat, je trouvais ça marrant et j’ai aussi voulu faire ça. J’étais avec mon meilleur ami Elian. On s’ennuyait alors on a commencé à filmer. Ça ne marchait pas mais on s’amusait ! C’était un moyen pour nous de combattre l’ennui et de créer un projet qui nous faisait rêver secrètement.
En 2017, tu crées ta chaîne YouTube sous le nom de "Maxime Biaggi". C’est avec le fameux tuto "Cesse d’être pauvre" que tu vas réellement faire le buzz, sur Twitter. Comment as-tu vécu cette soudaine attention ?
A chaque fois que j’ai voulu faire quelque chose de viral sur Snapchat, ça ne marchait pas. J'étais dans une période où ça faisait longtemps que je n’avais pas fait quelque chose. Les seuls trucs que je faisais, parce que j’aimais toujours faire ça, c'étaient des petits trucs à la con que je mettais en story pour mes potes. En postant ce tuto, j’ai eu plus de réactions que d’habitude… Au lieu de deux, c’était cinq ! Je décide alors de la poster en public sur Twitter, la veille de mon anniversaire, vers minuit, avant de m’endormir. Le lendemain matin, je reçois des messages de potes qui me disent que la vidéo a été republiée par plein de monde. Je vais voir : j’avais gagné 5000 abonnés ! Je me suis dit qu’il y avait peut-être des gens qui attendaient un autre truc et qu’il fallait que je capitalise dessus. Juste par hasard, j’ai continué et voilà où on en est aujourd’hui !
"Je me pourris la santé avec le stress. Je n’arrive pas à savoir ce qui me stresse. Je pense que c’est l’attente, l’envie de bien faire et de ne pas être déçu de moi."
- Maxime Biaggi
Aujourd’hui, cette exposition fait partie de ton travail. Tu n’hésites pas à avouer que c’est compliqué pour quelqu’un d’anxieux comme toi. Qu’est-ce qui t’a aidé à surmonter ça ?
Je n'ai pas encore la solution. Je me pourris la santé avec le stress. Je n’arrive pas à savoir ce qui me stresse. Je pense que c’est l’attente, l’envie de bien faire et de ne pas être déçu de moi. Je n’arrive pas à kiffer le moment présent et en plus de ça, j’ai des plaques de stress, c’est un enfer. Je suis assez religieux, je pense que ça m’aide mais c’est un combat intérieur de toutes les heures.
Tu pratiques le théâtre depuis tes 11 ans. Qu’est-ce qui a nourri ton envie de devenir comédien ?
Depuis tout petit, même si je ne l’avais pas encore verbalisé, je savais que je voulais devenir comédien. Quand je voyais Harry Potter, je me disais que je voulais faire ça. Dès le début, c’était un rêve. Je me suis demandé s' il y avait une école pour le devenir sauf qu’il y a très peu d’appelés à la sortie et j’avais peur de ça. En réalité, j’ai juste fait, sans me poser de question. Je me suis jamais demandé si je voulais faire ça ou pas, j’ai fait.
C’est pour réaliser ce rêve que tu quittes la Corse pour Paris, mais au lieu de t’inscrire dans une école de cinéma ou de théâtre, tu choisis le journalisme. Pourquoi ce choix ?
Je savais que pour convaincre ma mère, je ne pouvais pas lui demander de faire les Cours Florent. Ça impliquait de faire un prêt étudiant et si je n’avais pas l’assurance d’un travail après, ça aurait été dur de la convaincre. Donc le deal, c’était de partir faire des études et d’être sur place, à Paris, pour continuer les castings. A ce moment-là, j’étais un peu insouciant. J’avais déjà fait des rôles pour la télévision locale corse et j’avais un agent à Paris, donc je me suis dit que ça allait forcément marcher. Et bien… pas du tout ! Je me suis alors demandé ce qui se rapprochait le plus du métier d’acteur et là, je me suis dit que le journalisme, les caméras, les émissions radios etc, ça avait un peu un lien… Je sais que ça n’a rien à voir, mais je me disais que ça pourrait marcher comme ça. Au-delà de ça, c’est un métier qui me plait et je le retrouve dans ce que je fais aujourd’hui.
En parallèle, tu n’as jamais abandonné l’idée de devenir comédien. Qu’est-ce qui anime cette ambition au fond de toi ?
Ça ne peut pas en être autrement. Je fais tout pour y arriver. Je me souviens d’une anecdote, tiens ! J’avais 18 ans et j’avais rendez-vous avec mon agent de l’époque. Je me souviens lui avoir dit : “Si à 25 ans, je n’ai toujours rien, j’arrête tout !” Bon, et bien la preuve que non ! [rires]. Je n'arrêterai jamais, impossible. Je ne conçois pas l’idée de faire quelque chose qui ne m’anime pas autant. C’est une quête annexe !
Est-ce que tu considères internet comme un tremplin vers le cinéma ?
Non, au contraire. Ça peut aider pour certains cas mais on va généralement t’appeler pour les mauvaises raisons… Parce que ça aidera les audiences du film, par exemple. Donc tu te retrouves souvent avec des projets pas top où tu peux être très vite étiqueté. En même temps, ça peut t’ouvrir des portes. Si j’ai un agent aujourd’hui, c’est parce que j’ai fait des choses qui lui ont permis de me voir. C’est 50/50. Là où ça m’aide surtout, c’est que j’ai le loisir de dire à mon agent de choisir des petits rôles dans des trucs cools, qui ont du sens et que j’aime. Je préfère faire ça de mon côté plutôt que d'apparaître tout de suite en tête d’affiche d’un film où je ne pourrais peut-être pas montrer ce que je peux donner. Et puis, si ça ne marche pas ou que j’ai que des petits rôles, j’ai la chance de pouvoir me dire que j’ai quand même mon métier à côté qui me permet de tenir.
Un jour, tu as eu une grosse désillusion : tu es sur le point de décrocher un rôle dans le préquel de La vérité si je mens, mais quelqu’un d’autre est choisi. Tu décides alors de mettre les castings de côté. Qu’est-ce qui s’est passé en toi à ce moment-là ?
A cette époque-là, je n’étais pas du tout dans le même état d’esprit parce que je n’avais pas de plan B. Aujourd’hui, mon plan B, entre guillemets, c’est internet. Avant, la possibilité de jouer au cinéma était mon seul graal ! Il fallait que j’y arrive à tout prix. Je rencontre les équipes, ils sont emballés mais finalement, ça ne se fait pas, ils prennent quelqu’un d’autre. Alors j’ai arrêté les castings parce que je n’avais plus la force. C’était à chaque fois une trop grosse déception à encaisser. Surtout qu’à cette époque-là, pour faire des castings il fallait que je monte à Paris. Ça engendrait beaucoup de frais pour ma mère. Là c’était le coût de trop. Je me suis dit qu’il fallait que j’arrête d’emmener tout le monde dans mon bourbier et que je me concentre sur mes études. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter les castings.
Qu’est-ce qui t’a permis de regagner confiance en toi après cette période ?
La vie m’a montré que tu ne sais jamais ce qu’il peut se passer. Quand Louis de Funès a commencé à avoir du succès, il était déjà adulte. Ses premiers vrais rôles, je crois qu’il avait à peu près 40 ans ! Donc je me dis qu’à tout moment, ça peut arriver. Il ne faut pas désespérer. A côté de ça, à cette époque, ça commençait à marcher sur internet. J’y trouvais une fenêtre où je pouvais faire de la fiction, ça me permettait de m’amuser. C’est plus simple de patienter dans ces cas-là !
"C’est très rare les humours qui vieillissent bien. C’est forcément très clivant et ça nous a dépassé..."
- Maxime Biaggi
En 2021, tu lances Zen, une émission diffusée en direct sur Twitch, inspirée des late shows américains. D’où t’es venue l’envie de créer ce format ?
L’idée part du fait que je m’ennuyais un peu dans le travail où j’étais (ndlr Webedia, rédaction MGG), un pure player qui s’adressait à une communauté très gaming et internet. Je savais que le meilleur moyen de s’adresser à ces gens-là, c’est avec la vidéo mais la rédaction n’en faisait pas. Or, j’avais envie de défendre ça. Je venais avec des concepts et des idées mais ils ne voulaient pas. De temps en temps, j’en faisais, ça marchait mais ça leur coûtait trop cher. Un jour, mon n+2 de l’époque me dit qu’il veut se lancer avec moi. On commence à écrire des trucs et à ce moment-là, je reçois une offre d’emploi ailleurs, chez un concurrent. Je vais voir mon chef (ndlr Bertrand Amar) et je lui dit que je reste à une condition : qu’il me produise une émission sur Twitch. Il m’a dit ok et m’a offert un studio dans le parking de Webedia. J’avais carte blanche pour faire mes conneries, à condition que ça ne coûte pas trop cher. C’est ce que j’ai fait. On a continué à écrire et l’un de mes autres supérieurs nous a rejoint. On écrivait tous les trois. La saison 1, c’est un laboratoire : on voit ce qui marche ou pas, on écrit plein de conneries. Ça reste très confidentiel mais on s’amuse beaucoup. Ce que j’explique, ça se passe en septembre. Dès le mois de décembre, on décide de se consacrer à ça. On quitte tous nos jobs pour monter notre propre boite de prod et on propose à Webedia d’être coproducteur. De fil en aiguille, ça a pris le format du late show, même si on n’a jamais vraiment eu cette envie au départ. Ça s’est fait naturellement. Après la première saison, on a vite compris qu’il fallait un squelette à l’émission, des interviews et ça s’est naturellement glissé vers un format late show, même si j’avoue ne jamais en avoir regardé un !
Dans la direction artistique de Zen, on retrouve les marqueurs du late show de Jimmy Fallon, The Tonight Show. C’est quelque chose de commun en France. Les concepts américains inspirent beaucoup, surtout dans le domaine de la télévision et du web. Comment est-ce que tu l’expliques ?
Ils osent davantage. On pourrait faire ce qu’ils font mais ça ne plairait pas. On n’a pas le même public. Ils ont une culture de l'entertainment un peu fake qui ne les dérange pas. Nous, ça serait bizarre. Les codes américains ne fonctionneraient pas en France, même pour le streaming. Chez eux, les streamers habitent tous ensemble, tout est très préparé et fake mais c’est ok, ce n’est pas caché ! Chez nous, ça ne marcherait pas. C’est une culture différente. Un invité aux États-Unis, il va se prêter au jeu à 1000%, il va faire des sketchs… Même la manière de faire de la promo est différente. Ils sont beaucoup plus dans le show. On n’a pas ça et il fallait réussir à l’adapter avec notre culture et notre public. C’est pour ça aussi que les late show en France, ça ne marche pas trop. C’est délicat…
Comment tu expliques le succès de Zen alors ?
Déjà, c’est sur internet donc un public un peu différent. Ça a joué en notre faveur parce que c’était un format identifiable de télévision mais avec des gens d’internets. Les gens d’internets que j’invitais ont aussi très vite compris que c’était cool s’ils se mettaient en scène. Il a suffit qu’un invité nous fasse confiance pour que les autres le fassent aussi. Je crois que c’est ça qui a marché. Il y a aussi la proximité d’internet, avec le direct et les gens qui peuvent parler avec nous. Et puis, c’est aussi énormément de chance, de bon timing et du bon moment au bon endroit. Il y a une part importante d’inexplicable dans le processus.
Pour toi, ce rôle de présentateur dans Zen, c’est davantage un jeu d’acteur sur scène. Aujourd’hui, on voit de plus en plus de Youtubers se lancer dans des seuls-en-scène. C’est quelque chose qui t’intéresse ?
C’est vrai, j’aime voir ça comme un rôle. On joue tous des rôles dans l’émission. Moi par exemple, je suis dans le rôle du gars border, méchant, qui ne paye pas ses employés. On a tous des rôles mais de là à faire de la scène tout seul, je pense que je n’ai pas le courage. En plus de ça, ce n’est pas un exercice qui me botte vraiment pour l’instant. J’ai envie de faire de la fiction. Si je fais du divertissement, je préfère le faire sur ma chaine que dans un seul-en-scène à défendre. Ça implique une quantité de travail monstre et des qualités que je n’ai pas. C’est trop compliqué.
Le ton de Zen, c’est l’absurde, avec une vraie maîtrise du malaise. Certains journalistes l’ont qualifié d’humour "gênant". Tu as réagi sur Twitter à ce genre de critique. Qu’est-ce que ça t’a fait d’entendre ce type de retour ?
Ce qui m’a énervé à l’époque, c’était la condescendance des médias mainstream qui disaient que c’était nul ce que je faisais sans même essayer de comprendre. Sur internet, les gens percutaient. Pas eux. La condescendance de leur jugement m’a blessé, énervé, alors que cet humour existe depuis énormément de temps et dans plein de pays. Mais puisque c’était sur internet, on ne nous laissait pas le droit de le faire. Ce n'était pas possible que ce soit du second degré. Aujourd’hui, ce n’est plus un problème mais à cette époque-là, j’étais un peu à cran !
L’humour peut être une arme très puissante, mais aussi risquée. Est-ce qu’il y a eu des moments où tu t’es demandé si une blague ou un choix de contenu était allé trop loin ?
On se posait cette question constamment, jusqu’à la dernière émission. S'il y avait le moindre doute, on ne le faisait pas. Si on sentait qu’une blague ne passait pas, on faisait tout pour ne pas blesser. Quand on va sur des sujets touchy, on essaye de faire comprendre qu’il y a une dénonciation derrière. Pour prendre l’exemple du personnage du sniper qui dit des atrocités, il ne marche que si on s’indigne. On veut toujours montrer que celui qui dit quelque chose de mal, on ne le prend pas pour un héros, au contraire, il est stigmatisé. Plein de fois, j’ai eu moi-même le rôle de mec border et raciste et j’étais tourné en ridicule. Le plus important c’était ça.
En réalité, par l’humour, il y avait une volonté de dénoncer certaines choses…
Totalement ! En plus, on a eu une actualité politique assez forte à chaque saison, notamment pour la troisième avec les législatives… Notre équipe est extrêmement éclectique : il y a Grimkujow, mon co-animateur, qui est camerouné, Ben (ndlr Benjamin Haddad) qui est marocain tunisien juif et moi le blanc… On trouvait que c’était une force de jouer de nos propres clichés, pour les tourner en ridicule. On jouait de ça pour pointer du doigt des sujets. Je crois que les gens ont vite compris. Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots, je crois que c’est assez clair.
Avec Zen, les choses ont évolué rapidement : de 300 viewers, vous êtes passés à des milliers. Vous avez fait un Zénith dès la deuxième saison. Est-ce qu’à un moment donné, tu as senti que ça te dépassait ?
Oui ! Quand on a fait la première saison, personne ne regardait mais le peu qui regardait nous disait que c’était trop bien. A partir de la saison 2, ça fonctionne vraiment. C’est la saison qui a lancé l’émission. Sauf qu’à partir du moment où ça marchait, on s’est pris des critiques de dingue.… A chaque fois que j’annonçais une émission, j’avais l’impression que j’allais me faire tuer. C’était un peu étrange à comprendre et ça nous a totalement dépassé parce qu’on avait l’impression très vite que l’émission ne nous appartenait plus. Il fallait faire ce que les gens voulaient au moment où ils le voulaient et si on ne le faisait pas, on était les pires humains… Ça nous a vite dépassé mais ça a été marginal. On se concentre dessus parce que c’est une minorité bruyante mais finalement, quand on a fait le Zénith, les gens sont venus et ils étaient très contents. L’humour, c’est très clivant, c’est un art un peu ingrat. Sur le moment, c’est trop bien mais une semaine après ça peut être dépassé, surtout qu’on joue beaucoup sur les références. La saison 2, elle est franchement pas regardable aujourd’hui parce qu’on utilise des références qui n’existent même plus aujourd’hui. La saison 3, on a fait en sorte qu’elle vieillisse mieux mais c’est très rare les humours qui vieillissent bien. C’est forcément très clivant et donc ça nous a dépassé, oui…
Il y a une semaine, vous avez fait la "dernière" de Zen à Bercy, devant plus de 10 000 personnes. Un succès. C’est rare de s’arrêter en pleine apogée et de réussir une fin. Quel a été le moment décisif où tu as su qu’il était temps de tourner la page ?
C’est une décision qui a été un peu aidée par le fait que moi, j’en avais marre d’être tout le temps critiqué sur les invités. Pour la saison 3, on avait à coeur de faire venir des gens qui ne venaient pas uniquement du milieu d’internet et ça a été mal compris et reçu. Ça a été aidé par ça, même si ça marchait bien. Ensuite, je sentais que c’était le bon moment pour arrêter. Quand tu fais une émission qui joue sur le mécanisme de la surprise, inévitablement, au bout du 400e happening, ça s'essouffle. On a été très vite limités par l’humour et par le studio qu’on avait. A moins de tomber dans une surenchère, on a été obligé de se dire : soit on repense le format, soit on s’arrête au bon moment. C’est ce qu’on a choisi de faire. On verra si c’est une erreur…
Tu penses que c’est une erreur ?
Je ne me pose pas la question parce que je suis content que ça soit fini, dans le sens où je peux enfin penser à d’autres projets. Je trouve ça bien de clore ce chapitre au bon moment.
Entre Twitch, YouTube et Bercy, il y a eu une telle intensité... As-tu ressenti le besoin de te déconnecter ?
Oui. D’ailleurs, après Bercy, je me suis dit qu’il fallait que je le fasse. Je n’ai pas encore eu l’occasion mais je vais faire une petite coupure. Maintenant, je n’ai pas envie de me déconnecter complètement d’internet parce que c’est mon métier et que je m’amuse trop. Je veux continuer mais différemment, avec moins de pression. Le fait d’avoir un enjeu tous les 15 jours, c’était usant. Là, de me dire que je peux juste faire des choses qui me plaisent et que je peux prendre le temps de les faire, c’est un monde que je découvre et qui me plait énormément. Après, c’est un peu tôt pour tirer des conclusions mais actuellement, je kiffe !
C’est aussi le symptôme d’un système qui pousse à toujours vouloir exploser les limites d’internet mais qui, revers de la médaille, peut broyer une personne… De plus en plus de créateurs de contenu prônent désormais la déconnexion. Je pense à Inox Tag, à Léna Situations qui a récemment documenté son mois sans écran, mais aussi au duo McFly et Carlito qui avaient décidé de prendre une pause… C’est paradoxal pour des personnes dont c’est le métier. Quel est le message derrière cette tendance, selon toi ?
Il y a eu un moment où sur internet les gens ont toujours voulu plus. Plus de contenus innovants, très produits… Mais à l’époque c’était du jamais vu. En fait, ce n’est plus le cas. Tout le monde a tout fait ! McFly et Carlito ont traversé la manche en canoë, InoxTag a monté l’Everest… La surenchère a des limites. Aujourd’hui les gens recherchent la sincérité, la proximité, de l’humain. McFly et Carlito aujourd’hui, s’ils marchent, c’est pour ça. Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots. S’ils sentent que tu t’amuses, ça suffit. Je crois que c’est pour ça qu’il y a aussi ce retour à la simplicité.
Est-ce qu’il existe réellement un juste milieu avec l’usage d’internet ? Au risque peut-être de perdre de l’audience…
Il faut le trouver. Personnellement, je l’ai très vite trouvé parce que je consomme très peu les réseaux sociaux. Mon temps d’écran est minime, je vais très peu sur internet. Le seul moment où j’y vais, c’est pour poster des trucs ou pour être sur mon canapé et regarder des vidéos. Je ne vais pas sur Twitter, j’utilise très peu TikTok mais je vais un peu sur Instagram. Je n’ai pas le sentiment d’être dépendant aux réseaux sociaux et j’essaye justement de ne pas tomber dedans parce que je peux très vite devenir accro. J’arrive à trouver un juste milieu mais dans le mauvais sens du terme, parce que je ne suis pas assez productif. Avec Zen, je faisais quelque chose tous les 15 jours. Là, je sais que si je ne me prends pas en main, je ne vais rien faire !
Qu’est-ce que tu fais pour te déconnecter ?
Quand j’ai le temps, j’adore rentrer en Corse. Je le fais pour Noël, mon anniversaire ou l’été. Sinon, j’aime me poser chez moi, jouer aux jeux vidéos avec mes potes, être avec mes proches, aller au restaurant… C’est aussi simple que ça.
“Le rêve de tout acteur, c’est de faire son tchao pantin. Les gens me voient juste faire le clown mais au-delà de tout, j’aimerais jouer un rôle de méchant ! ”
- Maxime Biaggi
Quels sont tes projets pour l’avenir ? Tu as commencé à faire des castings ?
J’ai une série en cours. Un gros paquebot. On commence à tourner dans quelques mois donc ça n’arrivera pas avant un an et demi. J’ai ce gros projet et je fais pas mal de castings en ce moment puisque je retrouve du temps. Je fais aussi des vidéos avec mes copains et j’ai un documentaire qui sort prochainement sur ma chaîne sur l’aventure de Bercy. Je reviens à la simplicité, avec des lives de chez moi et, de temps en temps, je fais des choses plus produites sur Youtube. En parallèle, autant que faire se peut, je fais des castings. Je suis un peu dépendant de si on m’appelle ou pas mais voici mon quotidien en ce moment.
Qu’est-ce que tu souhaites montrer de toi au cinéma qu’on ne connaît pas encore ?
Le rêve de tout acteur, c’est de faire son tchao pantin. Moi aussi, j’ai envie d’arriver avec un rôle dramatique pour prendre le contre-pied. J’ai appris à faire de la comédie dramatique mais les gens me voient juste faire le clown. Évidemment, j’aimerais beaucoup faire une bonne comédie mais au-delà de tout, j’aimerais jouer un rôle de méchant. J’ai envie de montrer ça !
Au tout début de la dernière de Zen à Bercy, un livre s’ouvre sur un prologue. A la fin de ce prologue, il y a cette phrase : “Qu’importe ce qui se passe ensuite, une chose est sûre, ils iront jusqu’au bout”... Aujourd’hui, de quelle manière est-ce qu’elle résonne en toi cette phrase ?
Elle résonne tellement… Parce qu’on en a chié pour arriver jusqu’au bout de cette aventure mais ce qui nous faisait tenir, c’était d’être ensemble. Si on remonte 4 mois avant Bercy, on était un peu au fond. On n’avait de projet, le Bercy n’était pas faisable pour plein de raisons mais la force d’être ensemble, de se tirer tous vers le haut et c’est ce qui nous a permis d’y croire. C’est ce qu’on veut dire dans ce message de fin : si on est ensemble, on trouvera toujours des ressources et des chemins annexes. Ensemble, tout est possible. C’est un peu niais, mais ça fait du bien de l’être parfois !
Qu’est-ce qu’on pourrait te souhaiter pour l’avenir ?
D’être heureux et en bonne santé !
Et un beau rôle au cinéma alors…
Bien sûr ! Un beau rôle, un Oscar, un César… Ça, tous les jours ! [rires]
Il est libre Max,
y’en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler…
Pour voir la dernière de ZEN :
Maxime on a l'habitude de l'entendre, de le voir, le lire ça change. C'est vraiment intéressant de le re-découvrir surtout quand il parle de choses qui lui tiennent à cœur. L'interview est bien retranscrite, j'aime beaucoup le format.
Super interview! Y'a plein de choses en Maxime Biaggi qui résonne en moi et je suis admiratif! Hâte de voir l'After-Zen !